Mon expérience: j’ai déjà eu un sugar daddy
Lorsqu’on est dans la vingtaine, on cherche habituellement à sortir avec un gars qui a à peu près notre âge pour se construire un futur qui va selon ce à quoi la société s’attend de nous. Si on feel un peu wild, on va s’arranger pour fréquenter un gars de 35 ans qui possède une moto et qui est capable de nous faire entrer gratis dans les clubs et les bars les plus cools du coin. C’est rare, mettons, qu’on va sortir avec un homme qui a presque l’âge de son grand-père et qui, au lieu de déposer sa montre Nixon sur la table de chevet, va mettre son dentier dans un verre d’eau. C’est pourtant ce qui m’est arrivé.
La rencontre
J’avais 21 ans quand j’ai rencontré Jean-Marc*. Lui avait presque le triple de mon âge. À l’époque, j’étudiais à l’Université du Québec à Montréal (t’sais, dans le temps où l’UQÀM était pas en grève 2 sessions sur 3 à cause du menu de la cafétéria). Pour payer mes études et mon appart, j’étais barmaid dans un bar hipe de Griffintown. J’arrivais souvent à mes cours très fatiguée ou un peu hangover à cause de mes clients qui voulaient boire des shots jusqu’à 3h du matin avec moi, mais bon, au moins, j’avais un toit et de la nourriture dans mon frigo. Ce soir-là, Jean-Marc est entré dans le bar assez tard en compagnie de quelques amis, probablement célibataires, en veston cravate. C’était un mercredi. Je m’en souviens parce que j’avais peu de clients. Ils se sont assis à une table près de moi et après avoir brièvement discuté entre eux, Jean-Marc est venu me voir pour commander.
À les entendre discuter, je savais que ce n’était pas leur premier bar de la soirée: «Je vais te prendre deux Veuve Clicquot. On verra pour la suite. En veux-tu?» Je l’ai regardé, un peu éberluée, en me répétant mentalement «On verra pour la suite». Sa facture s’élevait déjà à 600$! C’était presque le prix de mes frais de scolarité! J’ai acquiescé et me suis occupée de le servir, lui et ses amis. Jean-Marc est revenu me voir durant la soirée pour me demander mon prénom, puis ce que je faisais dans la vie. Je ne lui posais aucune question, tout occupée que j’étais à astiquer mon comptoir ou à préparer des drinks pour d’autres clients. «Tu sais que tu pourrais te concentrer seulement sur tes études si tu le voulais en démissionnant d’ici.» Je l’ai regardé tandis que ma face devait tracer en caractères gras le mot «connard» ou «idiot» et lui ai dit: «Oui, et mon loyer se payerait comme par magie.» Il s’est esclaffé, comme si c’était la blague du siècle, puis m’a dit sur un ton de flirt: «Non, non. C’est moi qui paierais tout pour toi.» Jean-Marc m’a alors tendu une carte professionnelle.
C’est ainsi que je suis devenue une sugar baby: en servant du champagne à 300 piasses à un inconnu. Je sais que mon histoire sonne comme le début d’un remake un peu cheap (si c’est possible) de Fifty Shades of Grey, mais c’est réellement ainsi que ça s’est passé. Et non, je ne me suis pas fait attacher et fouetter dans une salle rouge.
J’ai rangé sa carte dans ma sacoche en compagnie de mes tampons et de factures chiffonnées et l’ai oubliée durant quelques semaines. C’est en sortant avec des amies que je suis retombée dessus. On était au Sainte-Élisabeth quand je leur ai raconté cette histoire-là. Laurianne* m’a alors dit, en riant: «Caro!* Tu dois tellement le texter! T’as rien à perdre!» J’ai soupiré et laissé échapper un: «Penses-tu vraiment qu’il sait comment ça fonctionne, des SMS? Il est plus vieux que mon père!» C’est alors qu’elle s’est emparée de mon téléphone et que je me suis retrouvée à avoir un premier rendez-vous avec Jean-Marc. J’avoue qu’une partie de moi était curieuse de le rencontrer et je n’avais aucun problème à faire connaissance avec de nouvelles personnes.
Là où tout a commencé
Nous sommes donc allés au Rouge Gorge boire du vin qui valait quatre fois le prix de ma robe. Évidemment, je n’ai rien payé, Jean-Marc a insisté pour tout mettre sur sa carte de crédit noire (une chance, car je n’aurais pas eu les moyens de le faire et je n’avais pas l’intention de faire la plonge pendant tout le weekend). Pour une fois, je n’avais pas à me soucier du prix de la facture. J’ai donc passé la soirée à discuter avec un homme fort allumé qui savait texter (my bad). J’ai appris qu’après un divorce douloureux, Jean-Marc avait décidé de ne plus s’investir dans aucune relation amoureuse. L’homme d’affaires préférait de loin les relations casual qui lui permettaient de passer du bon temps avec des personnes qui l’intéressaient et avec qui il avait des affinités au lieu de s’investir dans une relation sérieuse qui risquait de le blesser éventuellement: «Je n’ai plus le temps ni la patience pour ça.» Il avait également renoncé à trouver l’amour ou à faire de nouvelles rencontres sur Badoo, EliteSingles et autres sites de rencontre sur Internet. Il voulait le dating, mais sans le drama qui venait parfois avec. Je le comprenais.
Il m’avait reconduit chez moi, dans sa BMW, après m’avoir chastement, presque avec timidité, embrassée. Je me serais probablement attendue à un move plus aventureux de sa part, genre un french, une main sur la cuisse, voire sous la robe, mais non. C’est que j’avais l’habitude de sortir avec des gars de 20 ans, les hormones dans le tapis!
Nous nous sommes revus trois fois – la fameuse règle de trois – avant qu’il m’invite chez lui, dans son penthouse gigantesque. Encore une fois, l’alcool coulait à flots. Cependant, contrairement à nos autres dates, Jean-Marc ne s’est pas fait prier pour glisser une main dans mon dos, puis dans le bas de mon dos. «Tiens, c’est pour toi.» Il venait de remonter ses mains dans mon cou pour y accrocher un pendentif étincelant. Sa bouche n’était qu’à quelques centimètres de la mienne.
Je n’avais aucun désir pour lui. Mon thermomètre à «attirance sexuelle» indiquait -1000. Plus frette que ça, tu te trouvais au Pôle Nord en plein mois de janvier. Mais j’aimais comment je me sentais en sa compagnie, l’attention qu’il m’apportait et le fait que je n’avais pas besoin de me soucier de quoi que ce soit en sa présence. Je me suis donc levée, le lendemain matin, dans son lit, totalement nue. Je l’ai refait plusieurs fois, durant plusieurs mois. Je me disais «un corps, c’est un corps!» en essayant de ne pas trop penser au fait que ses plis et ses rides reflétaient dangereusement le manque de désir que j’avais pour lui, ce qui n’était habituellement pas le cas avec mes dates Tinder.
Si mes amies trouvaient hilarante ma première date, elles se sont rapidement inquiétées. Elles me demandaient un peu méchamment, chaque fois qu’on croisait une personne de 60 ans et plus: «Vas-tu le cruiser, lui aussi?» #slutshaming
C’est quand j’ai rencontré Frédéric* que tout a changé. Je n’avais pas prévu tomber amoureuse. Il était à l’UQÀM, tout comme moi. Il avait 27 ans, mais avait le vécu d’un homme de 33 ans. Il était beau, intéressant, intéressé et pas du tout riche. Cela m’a pris du temps me laisser apprivoiser par lui, mais j’ai bien fait, car la relation amoureuse que j’ai avec lui est beaucoup plus précieuse que n’importe quel cadeau qu’aurait pu m’offrir Jean-Marc.
* Noms fictifs
Crédit photo couverture: Photo par NeONBRAND sur Unsplash