Je ne demande jamais rien

Je ne demande jamais rien, jamais d’aide. J’ai contribué à cette carapace, j’ai érigé les murs autour de moi. Je gère, ne vous inquiétez pas. Je suis l’aîné d’une famille de trois enfants, j’ai joué à la maman. Je joue encore à la maman. Je prends soin de mon entourage comme si c’était ma progéniture. Je câline, j’affectionne, je console. Je suis l’oreille attentive, le phare dans la tempête. Je suis derrière chaque personne que j’aime, toujours celle qui panse les blessures. J’ai les mains magiques qui calment les tourments.

M’éloigner pour me retrouver

J’ai quitté ma ville natale, j’avais besoin de me retrouver. À force de vivre dans l’ombre des autres, on finit par se demander qui on est vraiment. J’ai fait un retour aux études. Je me suis bâti une petite vie bien tranquille. Le seul orage à prévoir, c’était le grondement de mon frigo qui m’annonçait une fin de vie précoce.

Mais j’ai touché le fond. Je ne savais pas qu’il était si creux. J’ai terminé mes études récemment, et je me suis sortie d’une relation toxique. J’avais avancé dans cette relation en ignorant complètement les signaux d’alarme. Je pensais que le jour où j’allais réussir à m’en sortir, ça allait être la fin. J’allais pouvoir reprendre ma vie où je l’avais laissé. Retrouver l’accalmie et mon frigo trop bruyant. Ce ne fut pas si simple. Ses appels sont devenus répétitifs, intenses, épeurants. J’ai voulu porter plainte.

Jeune femme baillonée

Kat Jayne | Pexels

«Madame, puisqu’il n’y a pas de menace de mort et que certaines de ses choses sont toujours dans votre appartement, vous devez faire preuve de bonne foi».

«Le système n’est pas de votre côté, on est désolés.»

Ce moment quand tout s’écroule

J’ai touché le fond; qui va me protéger, moi? Puisque son numéro était désormais bloqué dans mon téléphone, il s’est mis à m’appeler au travail. Des dizaines de fois à l’heure. Congé de maladie quasi forcé. C’était la suite logique. Dormir était devenu un luxe. Vérifier si mes portes étaient verrouillées cinquante fois par nuit, ça, c’était important. Je me suis cachée, dans une maison avec d’autres femmes qui craignaient pour leur sécurité. J’ai vu la crainte dans leurs yeux. J’ai reconnu la mienne aussi.

Jeune femme effrayée

Joanne Adela Low | Pexels

Lorsque je suis sortie, on avait vidé mon appartement, il n’était plus sécuritaire pour moi. Je suis déménagée ailleurs. J’ai touché le fond. Je ne savais pas que c’était si creux. Aujourd’hui, mon entourage essaie de me réparer, ainsi que des tonnes de spécialistes. Son harcèlement n’a jamais cessé. J’ai finalement pu porter plainte. Après des semaines de messages vocaux, de courriel, de messages d’ami avec qui il a essayé d’entrer en contact.

«Madame, nous allons procéder à son arrestation aujourd’hui.»

Une victoire, vraiment?

Je tremble, parce que même si tout le monde autour de moi pense que j’ai gagné, ce n’est pas le cas. Je vais devoir me reconstruire. Je vais devoir arrêter de sursauter quand quelqu’un cogne à la porte. Je vais devoir arrêter de trembler quand quelqu’un lève le ton, cesser d’avoir la nausée quand quelqu’un prononce son nom.

Je ne suis pas prête à dire que j’ai gagné, que c’est la fin. C’est un pas en avant, c’est certain. Aujourd’hui, la petite fille qui ne demande jamais d’aide a réalisé que lorsqu’on atteint le fond, il y a de l’amour. Tellement d’amour. Il y a de l’écoute, de la compréhension, très peu de jugement. Toucher le fond du baril, c’est mettre les deux pieds au sol et se donner la force de retrouver la surface, cesser d’avoir l’impression de se noyer.

 

Collaboration spontanée
Catherine GT

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Crédit photo de couverture: Maria Krisanova | Unsplash