As-tu une cigarette?
Ne vivant pas dans la Vallée autrichienne ou encore dans Outremont, ça m’est arrivé pas mal tous les jours de te croiser, vu que le seul arrêt de bus à distance raisonnable se trouvait en face du dépanneur ou t’avais un peu élu domicile. C’était devenu un running gag de demander à mon chum s’il avait croisé mon petit monsieur avec la langue sortie qui quête des cigarettes en allant acheter de la bière.
Pauvre toi, je ne fume pas.
Tu ne l’as probablement jamais su, mais ce soir-là, je n’avais pas envie de m’être levée le matin. Comme un peu tous les matins depuis que j’ai perdu quelqu’un. Tsé, quand tu perds quelqu’un, tous les jours sont traversables. Mais y’a ce maudit plomb dans tes pieds pis ton coeur qui font que tu marches moins vite et que la vie est un peu plus lourde tout le temps. Je présume que tu comprends, vu ta situation de semi-itinérant-avec-la-langue-qui-sort. Je présume que ta vie a dû avoir son lot de plomb, elle avec.
Après ta traditionnelle réquisition et approche ambitieuse de demander des clopes à une fille qui fume juste en état d’ivresse presque comateuse, tu t’es aventuré à me parler d’un peu tout. T’avais hâte de voir notre amphithéâtre, tu trouvais que je n’étais pas mal bien mise pour un mardi soir, pis tu m’as parlé de ta jeunesse. Tout ça sans que j’en place une, pas par manque d’intérêt, mais par captivation. T’as finalement arrêté ton monologue pour toucher ma main pis me glisser : «Ça va aller fille».
C’est là que j’ai su que tu savais. Les gens avaient beau t’ignorer, t’avoir sacré en marge de leur société en béton pis en indifférence, toi tu le savais encore qu’on était tous faits sur le même frame de souffrance pis d’amertume de la vie, sur le même frame d’espoir qui nous garde là. Tu le savais toi que de t’écouter me parler de ta vision de l’amphithéâtre ça allait m’engourdir un ti peu.
On est restés là, à fixer le vide. Pas d’itinérance, pas de langue sortie, pas de robe trop chic pour un mardi soir. Pas de différences. Juste deux humains avec du plomb dans le coeur.
Par Chanel Garceau
Collaborateur spontané