Enfants gâtés désespérés
J’suis en retard sur la semaine de prévention du suicide de février, mais y’a jamais de bon ni de mauvais moment pour en parler. « Tout est dans la manière », dirait Daniel Bélanger. Alors je me lance : le Québec détient un des taux de suicide les plus élevés, en même temps qu’un des niveaux de confort les plus élevés. Vous trouvez ça contradictoire? Moi, après réflexion, pas tellement.
« Aujourd’hui, la seule chose dont on manque, c’est le manque, c’est la mort, et les gens vont se la donner. » – Steve Curadeau (vous allez me voir le citer souvent, lui)
C’est vrai, on ne manque vraiment de rien. La nourriture est plus qu’accessible, on peut manger des aliments venant de partout sur la planète en marchant un coin de rue pour se rendre à l’épicerie. On a souvent plus qu’une voiture par famille (en plus, le gaz n’est pas cher ces temps-ci). On a du linge pis du nouveau linge. On a tous un cellulaire, et on s’en tanne après 2 ans. On a toutes les bebelles possibles – iphones, ipads, etc.– parce qu’on ne sait pu quoi se donner à Noël. On passe des heures et des heures (et des heures) le nez sur un écran, peu importe lequel, juste parce que c’est facile de le faire. Bref, tu comprends le principe.
Pour ceux qui oseront me dire que c’est pas tout le monde qui peut s’offrir tout ça, je leur répond que justement, ce ne sont pas les gens dans la rue qui se suicident le plus. D’ailleurs, y’a des gens dans la rue l’hiver à -30° qui refusent les offres de refuges. Et ben j’me dis qu’ils doivent avoir compris quelque chose qu’on n’a pas compris. C’est-à-dire qu’on manque de manque.
On s’couche le soir, toujours trop fatigués. Pour éviter de penser avant de s’endormir? Parce que si on avait le malheur d’avoir le temps de réfléchir seul à seul avec soi-même, on s’rendrait sûrement compte qu’on manque de manque. On a du confort à la pelletée, mais le ré-confort dans tout ça? T’sais celui qui vient après que t’aies manqué de quelque chose, et que tu l’aies retrouvé? C’est pas pour rien que la grosse mode à 17-18 ans c’était de partir vivre au BC, backpack only, un été. On a besoin de manquer de confort, pour le retrouver, pour l’apprécier comme du monde.
Ça fait qu’un samedi matin de février, j’me suis levée à 6h du matin, j’ai pris l’autobus jusqu’au Lac des Nations (#SherbyLove), pis j’ai fait le tour, 40 minutes de marche à -17°, le nez qui coule pis toute qui gosse, mais le ciel rose de soleil qui se lève. Pis j’suis rentrée, pis j’ai eu envie de frencher mon plancher de bonheur et de reconnaissance.
Pis toute la journée, les gens que j’ai croisés, j’leur ai souri. (D’ailleurs, les regards que j’ai parfois eus en retour étaient assez surpris. Comme si c’était pu normal, de sourire aux autres.)
Y’avait de l’amour pis du bonheur dans l’air parce que j’avais décidé d’en voir, cette journée-là.
Pis toi, t’as envie de manquer de quoi? Pas besoin d’aller vivre dans une cabane dans un arbre pour le restant de ta vie sans jamais te laver, là. Comme tu veux, mais go. Manque donc de quelque chose pendant une couple d’heures. Ferme ton cell, sors courir dehors tout nu, attends 1h de plus avant de manger, assis-toi pis fais rien, danse tout seul, peu importe, mais fais-le. Confronte-toi à être seul avec toi-même, pis fais-le pour toi-même.
Parce que le bonheur, on le perd trop facilement à travers les montagnes d’objets qu’on ramasse, à travers les murs qu’on se construit pour être supposément mieux. Le bonheur y’est jamais ben loin, y’est en quelque part au fond de nous, il faut juste lui donner la chance de se montrer le bout du nez.