Je t’aime moi non plus
Parce que pour toi c’était important. Ça allait de soi, qu’un moment donné, fallait que les mots soient prononcés. Parce que c’était trois mots si grands, si puissants, si signifiants quand ils étaient collés.
Puis tu y as repensé. Tu t’en es voulue de juger si facilement. Parce que t’avais fait exactement la même chose, t’avais été cette personne. Peut-être moins longtemps mais peu importe, c’était passablement la même chose. T’avais été dans une relation qui avait pris des mois à bien démarrer, à bien s’enraciner. Non pas à cause de toi, mais bien de l’autre. Du rythme différent, du rythme beaucoup plus lent que toi. Des mois à être questionnés sur votre statut, à vous faire demander si vous étiez en couple, à être un des sujets de conversations des soirées arrosées. T’avais été dans une relation comme celle-là.
Avec le père de tes enfants, celui avec qui ça aura duré des années de «je t’aime» au quotidien. Des années de vrai amour, tu le sais. De vrai qui aura fini par s’essouffler tranquillement, mais qui aura bel et bien existé quand même. Parce que peu importe le commencement, tu la connais pas la fin. Tu la connaîtras jamais.
Donc, tu t’en es voulue. Parce que tu t’es rendue compte que personne pouvait juger les relations des autres, surtout pas toi. Parce qu’il existait autant d’histoires différentes qu’il pouvait exister d’humains autour de toi. Que tu pouvais pas penser que tout le monde était comme toi.
Parce qu’immanquablement, toi, t’étais capable de te projeter plus loin quand tu rencontrais quelqu’un qui te plaisait. Qui te plaisait assez pour te faire baisser ton niveau de questionnements face à cette nouvelle relation. Ça ne t’avait jamais fait peur. T’étais de ces personnes qui le savaient instantanément si ça pouvait être une histoire vous deux. Pis qui arrivait bien à baigner dans le concept du moment présent. T’étais de cette catégorie. Celle «à cœur ouvert». Celle qui n’avait pas peur de prononcer les fameux mots. Celle qui se ferait mal plus rapidement, mais qui ne savait pas faire autrement. Pis c’correct. Parce qu’il n’existe pas une façon unique de plonger tête première quand il est question de t’abandonner à quelqu’un d’autre.
Tu pouvais aussi être celle qui rencontrerait celui avec qui ça prendrait seulement trois mois avant que tu te rendes compte que vous magasinez ensemble une nouvelle table de patio IKEA. Ça s’pouvait. Que tu sois cette personne-là. Que vous soyez rendus exactement à la même place au même moment, pis que contrairement à toutes les autres fois auparavant, t’aurais presque pas peur. Parce que c’est simple, que ça coule pis que ça te semble être la chose à faire à c’te moment-là, avec cette personne-là. Cette personne pour toi.
Ça s’pouvait aussi que tu sois cette personne, pour qui ça prendrait beaucoup de temps avant de s’ouvrir complètement. De démontrer à l’autre qu’elle est importante pour toi, que tu veux être avec elle tout le temps, que c’est ses yeux que tu veux voir te sourire en s’ouvrant le matin. Ça pouvait être possible que pour les deux, le «je t’aime» soit pas si important, pour l’instant. Que le ressenti soit bien suffisant. Que les attentions, les gestes, les autres mots que vous vous échangez arrivent à combler, à remplir ton besoin de te faire aimer. Que vous pensiez bien vivre avec ça. Comme ton amie.
Ça s’pouvait.
Jusqu’à temps qu’un de vous deux ait le goût de dire à l’autre: «faut que j’te dise quelque chose».