La fois où j’ai vu ma mère vulnérable
Cette journée-là, j’avais décidé d’écouter ta conversation téléphonique. Ça m’arrivait des fois quand je voulais passer le temps. J’aimais ça écouter les conversations des grandes personnes. J’avais l’impression de vieillir. Parce qu’à 11-12 ans, j’étais un peu tannée de m’asseoir à la table des petits pour manger dans nos partys de Noël. Ça fait que, pour oublier que j’étais encore une prépubère, j’écoutais au téléphone quand les grands parlaient à d’autres grands.
Cette journée-là, maman, quand tu as prononcé «antidépresseurs», j’ai raccroché en panique. J’avais pas le droit d’entendre ça, c’était ton intimité. Et de toute manière, je savais pas trop c’était quoi ça, moi, des antidépresseurs. Mais, j’étais pas si conne, il y avait quand même le mot «dépresseur» dedans, ça devait pas être bon signe…
Alors j’ai pleuré. J’ai pleuré parce que, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu peur du suicide. Et que là, pour moi, ces pilules te rendaient vulnérable à la mort, à ce que tu nous quittes par volonté. Et j’ai eu peur que ça soit vrai. Que tu ne nous aimes plus. Que tu veuilles vraiment tout abandonner. Tu étais ma maman, t’avais pas le droit de me faire ça.
Je me rappelle que tu es venue me voir. Tu m’avais entendue raccrocher l’autre ligne. La première chose que tu m’as dite c’est: «Ne t’inquiète pas, maman veut seulement aller mieux. Il y a beaucoup d’épreuves au travail, et ça m’affecte beaucoup.» Et j’ai été soulagée de savoir que c’était pas de ma faute, si tu n’allais pas bien. Que les méchantes madames au bureau ne te méritaient pas si elles te faisaient de la peine.
Et depuis, c’est un peu notre secret à nous deux. Je sais que mes sœurs ne sont pas au courant de cette époque de ta vie, celle où tu n’allais pas bien, celle où tu as eu besoin d’aide pour t’en sortir.
Mais cette journée-là maman, j’ai connu ta fragilité. Tu m’as appris que les grandes personnes, aussi, pouvaient avoir de la peine, qu’il n’avait pas de honte à y avoir.
Cette journée-là, je t’ai aimée encore plus. Parce que maintenant, je me permets cette vulnérabilité. Et je t’en remercie.
Par La Naïade
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