De l’autre côté du comptoir
Dernièrement, une personne de ma connaissance m’a raconté, toute fière d’elle, comment elle a réussi à crosser le système en fakeant de se plaindre d’une commande qu’elle avait reçue au Tim Hortons pour avoir quelques beignes et cafés gratuits.
J’avais le goût de lui répondre : « C’est pas le système que tu crosses, dude, c’est la madame du Tim que tu fourres! ». Avec indignation, j’attire votre attention sur un phénomène d’abus qui me pue au nez et qui me pousse à péter cette présente coche à la Rox Chouine.
Travailler avec le public dans la restauration rapide ou dans tout commerce impliquant un service à la clientèle exige de l’écoute et de la courtoisie envers les clients de la part des employés, j’en conviens. Mais l’inverse pourrait-il être plus fréquent aussi?
Un peu de compréhension, de patience et d’honnêteté de la part des clients pourrait éviter bien des problèmes à des employés en bas de la chaîne alimentaire de la société, qui rushent pendant des heures pour un salaire de crève-faim. Avez-vous pensé, avec un peu d’altruisme, que la serveuse ou la barmaid que vous venez de mêler pour avoir votre bière gratuite devra, à la fin de son shift, rembourser le short d’argent que vous venez de lui mettre sur le dos?
Chaque fois que je passe au service à l’auto au McDo avec des amis, je les brasse chaque fois qu’ils deviennent impatients ou impolis envers les employés. Je perds l’appétit juste en pensant au stress qu’ils doivent subir. Je soupçonne certains gratteux de cennes de prendre un malin plaisir à harceler le service à la clientèle du Wal-Mart tous les jours pour sauver une couple de piastres et certaines personnes de se défouler de leur journée de marde sur la caissière du Super C à la moindre petite erreur.
Si je vous amène de l’autre côté du comptoir pour vous faire prendre conscience de l’importance d’être un bon client pour être bien servi, allez-vous enfin changer d’attitude?
L’histoire de Mlle #2498
Je vous raconte l’histoire de l’employée #2498 du Tim Hortons.
Cette jeune étudiante en fin de BAC a passé l’été 2012 à faire des shifts de nuit de 22h à 6h du matin à temps plein pour pouvoir s’installer à Montréal l’automne suivant, afin de commencer ses études de deuxième cycle. Ses revenus lui servaient aussi à se préparer au trou financier causé par l’absence de prêts et bourses au mois de septembre de cette année-là (à croire que le gouvernement a juste fait ça pour punir la communauté étudiante au grand complet à cause de la grève).
Toujours est-il que Mlle #2498 n’avait eu guère le choix de prendre cet emploi, étant donné les choix restreints que sa région pouvait lui offrir. Or, elle était une bonne employée qui rentrait à la job sans broncher lorsqu’un de ses collègues était absent. Elle ne manquait pas une journée de travail et ne se reposait pas sur ses lauriers durant son shift. Elle servait ses clients comme il le faut et faisait tout comme il le fallait, comme elle l’avait appris lorsqu’elle s’était tapé 8h de brainwashing sous forme de vidéos de formation en overtime (que son employeur avait presque oublié de lui rémunérer). Elle s’efforçait de réagir convenablement lorsqu’un pépin arrivait avec la clientèle.
Après quelques mois de travail, durant lesquels elle a maintes fois été aux prises avec des gens soûls, énervés et incompréhensibles sortant des bars à 3h du matin et qui passaient leurs commandes le sub pis la bass dans l’tapis au drive-thru, elle a commencé à devenir de plus en plus lasse de son emploi. Mais elle a continué son travail de bon train en servant à la caisse principale et à celle du service à l’auto tout en faisant les repas, sans compter la multitude de tâches qu’elle accomplissait en plus du ménage complet du restaurant chaque nuit.
Il ne se passait pas un jour sans qu’elle ait affaire à des clients impatients et impolis qui pétaient des crises dignes d’un enfant de 5 ans. Lorsque la machine à capuccino glacé avait le malheur d’être en panne, ils lui mettaient sur les épaules tout le poids du monde au lieu de simplement choisir autre chose. Fatiguée, épuisée et seule derrière son comptoir, elle devait s’excuser de ne pas avoir compris les commandes que les clients lui crachaient à travers le micro du service à l’auto, qu’elle entendait très mal dans l’appareil qu’elle avait sur la tête all the time. Après avoir reçu un paquet d’insultes sur ses facultés auditives et mentales, elle se sentait véritablement comme une épaisse dans son uniforme de travail crasseux de sucre glacé, de lait et de taches de café. Un uniforme qui ne lui donnait pas l’air plus intelligente que les qualificatifs qu’on lui lançait au visage et qui avait un look inspirant la soumission, indeed.
Mlle #2498, à bout de nerfs, s’est fait prescrire par son médecin des antidépresseurs qu’elle prenait chaque jour avant d’aller au travail. Lorsqu’elle devait affronter d’immenses rushes seule durant la nuit ou qu’un client se montrait déplaisant, elle allait chaque fois piteusement gober un Xanax dans le back-store pour calmer ses crises d’angoisse répétitives.
Cette Mlle #2498, c’était moi.
Peut-être suis-je trop faible de caractère pour travailler dans la restauration rapide, mais j’ai pu constater néanmoins que certains clients sont abusifs pour rien et ne font pas de grands efforts pour retenir leurs insultes gratuites. Ces petites agressions quotidiennes m’ont rendue malade et m’ont menée au bord de la dépression. Est-ce que ça vaut vraiment la peine de s’énerver pour rien quand on prend en considération les impacts de nos gestes sur la santé mentale des employés?
L’été de mes 17 ans, je travaillais comme caissière au Super C. Je me réjouissais de débiter le message de courtoisie sur les haut-parleurs pour annoncer la fermeture du magasin.
Parfois, j’aurais aimé que ma voix porte ces mots dans les rangées de l’épicerie : « Chers clients, si seulement vous saviez. Si seulement… ».