Un jour à la fois…

Ma belle amie,

Hier, j’ai essayé de t’appeler toute la journée et tu ne ne m’as jamais répondu. Je m’inquiétais, mais en réalité, je savais. Aujourd’hui, tu m’as expliqué qu’hier, c’était une mauvaise journée. Hier, on t’a donné un vrai diagnostic. Anorexie. Et parce que tu souffres d’anorexie, tu as des crises de boulimie. (Cercle vicieux.) Hier, on a mis un mot sur ton bobo. On te l’a dit en pleine face, on te l’a répété pour être certain que tu en saisissais l’ampleur; ça t’a donné une couple de coups de pelle au visage.

C’est rare qu’on parle de ça, toi et moi. C’est rare parce que je ne trouve pas les mots et tu ne veux pas les dire, ni même les entendre. Je ne force pas ces conversations; je sais qu’elles viendront quand tu ressentiras l’envie de m’en parler et je le respecte. Je sais que ces temps-ci, ton humeur est souvent tout le temps instable et ton attitude un petit peu très désagréable. Mais c’est correct, on en rit, car toi aussi, tu le sais. Tu le répètes sans cesse, car tu ne comprends pas que les gens restent auprès de toi; toi qui te sens comme un lourd fardeau. Arrête d’angoisser, car, au contraire, s’ils t’aiment, ils seront là, tout près.

Il n’y a pas longtemps, tu t’es retrouvée à l’hôpital, à quelques portes de la psychiatrie. Psychiatrie. Un mot qui t’a fait peur. Un endroit sombre où tu ne veux pas te retrouver. Tu sais ce que c’est et tu ne veux pas ça. L’hôpital t’a donc présenté une gentille psychologue en trouble alimentaire, avec qui tu n’as pas eu le choix d’entreprendre une thérapie. C’est la première fois que tu vois un spécialiste plus de deux ou trois fois. J’ai envie de la remercier et de lui dire qu’elle est en train, petit à petit, très petit à très petit, de me redonner mon amie. Elle te donne des petits défis chaque semaine et ça, ça te garde en vie et ça te motive. Après tout, tu as toujours aimé les défis; tu as toujours vu cela comme un jeu. C’est pareil aujourd’hui. La seule différence, c’est que dans ce jeu, si tu ne suis pas les règles correctement, si tu ne les écoutes pas attentivement, il peut avoir ta peau.

Source : Etsy

Source : Etsy

Avant de la rencontrer, tu ne mangeais presque plus rien. Aujourd’hui, tu manges trois fois par jour; ou presque. De petites choses. Des repas qui n’en sont pas vraiment, mais qui te font reprendre l’habitude de te mettre quelque chose sous la dent. Un jour à la fois. Un repas à la fois. Tu ne jeûnes plus. Ce que tu avales, tu le gardes. Et ça, c’est tout un step que tu as fait là. Aussi, avant elle, la balance était ta meilleure amie ou ta pire ennemie selon ce qu’elle affichait les soixante fois par jour où tu te pesais! Maintenant, la balance ne peut plus déterminer tes journées puisque tu ne sais pas combien tu pèses… À part le vendredi. Chaque vendredi est une surprise. Chaque vendredi, je ne sais pas si tu me répondras.

Ma belle amie, un repas à la fois, un jour à la fois, tout se replacera. Lentement, tu te débarrasseras de la balance qui n’aurait jamais dû entrer chez toi. Bientôt, tu pourras crier «Victoire!» et ce sera un grand pas, car on pourra dire que les chiffres ne contrôlent plus ta vie, ni ta faim. Et peut-être même que tu t’aimeras, qui sait? Si tu savais comme j’ai hâte de te l’entendre dire pour la première fois de ma vie. Si tu savais comme j’ai hâte que tu t’aimes autant que je t’aime. N’oublie pas, le jour où tu mettras la balance dans un sac de vidanges, éclatée en mille morceaux, je veux être là. Je veux être avec toi pour sauter dessus et la lancer; juste lui faire mal. Lui faire mal comme elle t’a fait mal à toi.

Autres textes à ma belle amie ici :
http://www.lesnerds.ca/ma-belle-amie/
http://www.lesnerds.ca/deux-semaines-en-une-pour-toi/