Au jour le jour, l’amour: Face au mur

Hier, nous nous sommes chicanés avant de nous endormir lui et moi. Tu connais le tableau. Chacun dos à dos. L’un face au mur, l’autre face au vide. La rage dans le coeur, le trou dans la gorge.

Déjà ce matin, je ne me rappelais plus pourquoi. Or, ce que je sais, c’est que je ne voulais pas m’endormir dans cette émotion. Ça génère des mauvais rêves et un réveil du mauvais pied. Mais j’ai ce putain d’orgueil qui m’empêche de prendre les devants. Lui, c’est l’inverse. C’est d’ailleurs pourquoi je l’aime. Kurt Cobain a déjà écrit : « Je t’aime pour tout ce que je ne suis pas… » Si tu collais ton oreille à ma tête comme on le fait pour un coquillage, t’entendrais du grunge.

C’est drôle que ce soit moi qui fasse face au mur, car c’est lui qui s’y confronte. Je suis le béton qui se tient debout. Je ne sais même plus pourquoi, mais je tiens mon bout. Lui, il frappe délicatement comme l’homme sage et il se heurte à mon mutisme de gamine boudeuse. Je n’ai plus aucun argument alors je me la ferme. Je me ferme comme une huitre engloutie dans la mer des draps. Dans le néant de mes couvertures, je me noie d’injures.

J’aurais préféré que nous n’abordions jamais le sujet. Celui dont je ne me rappelle déjà plus, mais qui a joué le rôle de la bombe nucléaire dans ce territoire moelleux qu’est notre lit, notre nid. Le champ de bataille est traversé d’une frontière. Une ligne de mines antipersonnel structure nos corps. C’est un moitié-moitié, un chacun de son côté. Bref, tout ce que je ne souhaite pas avec lui. Nous, c’est un pour l’autre et l’autre pour un. On a upgradé le concept de Dumas. Pas besoin d’être trois quand on a lui. Pourtant, cette tension qui perdure entre nos deux êtres joue le rôle du troisième pion.

Il suffit que je prononce trois mots. Ce troisième traître. Tout se fait tellement mieux à deux. Jamais deux sans trois, mon oeil. «Je m’excuse.» Pourquoi? Parce que je suis conne. Peut-être juste trop satisfaite. J’anticipe l’arrêt de mon bonheur. J’ai trop peur qu’il me tombe dessus pendant la nuit et qu’au réveil tout cela se révèle être un rêve. Ça se peut tu aimer trop? Je t’en prie, dis-moi que non. Évidemment, tout cela défile dans ma tête pendant que j’entends mon propre pouls battre dans mes tympans. Je sais que vous savez lequel. Le fameux discours de l’ennemi intérieur qui rugit avant le sommeil. Tout le monde l’a. Je ne suis pas plus spéciale qu’un autre. Mais lui… oui.

Il m’attend. Parce qu’il me connaît. Parce qu’il me sait.

Nous sommes les protagonistes d’une histoire avant le dodo. La fable: la tête de cochon et le berger avenant. Tôt ou tard, je sais bien qu’il me ramènera à l’enclos. Celui que forment ses grands bras autour de moi. Il suffira que mes petits pieds froids touchent la longitude de son corps pour que je me rappelle qu’une nuit sans sa chaleur est un huit heures dans la noirceur.

Tranquillement, il va me laisser glisser contre son flanc, comme l’épave sur le fond de l’océan. Tout est une question de synchronisation. Le temps et la mouvance ont toujours été en notre faveur. Ici, maintenant, moi, lui. Il va accepter mes excuses honteuses en murmure. Sur son torse, je cache mon visage. Je veux disparaître, en lui. De ça, je n’ai rien oublié, car chaque expérience à ses côtés est une nouvelle occasion de devenir une meilleure rêveuse et ça, j’espère que tu t’en rappelleras lors de ta prochaine guerre intime.

Écrit en écoutant 22, a million de Bon Iver.