Le plus fort, c’est mon cousin
Mon cousin, Antoine, souffre d’une maladie orpheline qui lui a fait perdre l’usage de ses jambes. Lorsqu’il était plus jeune, personne ne se doutait que des gènes malfaisants se cachaient à l’intérieur de ses petits membres sans défense. Plus il vieillissait, plus il avait de la difficulté à marcher. Il devait déployer des efforts surhumains afin de nous rattraper, la bande de cousins, quand nous courions sur le terrain de mes grands-parents. L’énergie que nous dépensions pour faire dix pas correspondait à celle qu’il brûlait en n’en faisant qu’un. Il s’essoufflait rapidement, sans parler de la douleur qu’il devait ressentir.
Après d’innombrables tests échelonnés sur plusieurs années, le diagnostic est finalement tombé: son état se détériorait, et il allait inévitablement se retrouver en fauteuil roulant. Une nouvelle comme celle-là en aurait poussé plus d’un au bord du gouffre, mais pas mon cousin. Bien sûr, son quotidien n’est pas toujours rose, mais il garde une attitude positive malgré tout. Le bonheur se trouve dans les petites choses, et, lui, il l’a compris.
Lui, il aime aller à l’école parce qu’il a l’occasion de voir ses amis. Qui a déjà affirmé de son propre gré être reconnaissant de se rendre tous les jours à l’école? Lui, il aime les réunions de famille parce qu’il passe du temps de qualité avec ses proches. Qui n’a pas déjà chialé en pensant au fait que son samedi soir serait dédié à un souper familial? Lui, bien qu’il ne puisse pas marcher, a fait des spectacles de cirque. Qui, en pleine possession de ses moyens, a déjà eu le courage de pratiquer au moins une discipline du cirque?
Mon cousin, il m’impressionne. En fait, il impressionne pas mal tout le monde. Il a toujours le sourire aux lèvres et il ne semble jamais découragé par la situation. Il lui arrive parfois de dire qu’il aimerait pouvoir marcher. Cette affirmation me pousse chaque fois à remettre les choses en perspective. Tous mes problèmes deviennent soudainement très futiles. Quand j’ai de la misère à me lever le matin pour aller travailler, je pense à lui et au simple fait que de pouvoir sortir seul de son lit le rendrait heureux.
On tient souvent pour acquis l’évident, mais je crois qu’on a tous une leçon à tirer des Antoine de ce monde. Ces personnes qui vivent avec un handicap sont pleines de bonne volonté et ne se laissent pas facilement décourager. Ces personnes sont intègres et aiment aider les autres, alors que ce sont elles qui devraient avoir besoin de nous. Ces personnes sont championnes de l’inclusion; on a beaucoup à apprendre d’elles, notamment la tolérance.
Antoine, je l’admire. Lors d’un après-midi en famille, il a mentionné qu’il était chanceux d’être handicapé parce que, grâce à sa condition, les gens qu’il adore s’occupent de lui. Ce moment, je vais m’en rappeler toute ma vie. Le plus fort, c’est vraiment mon cousin.