Les mots du silence
Quand j’observe une personne qui garde le silence, je vois quelque chose de beau, de simple, de facile à cerner. Une fois que cette personne tente de m’expliquer son univers interne, je m’y perds.
Quand je communique, chaque mot, chaque phrase et chaque intonation me procurent le sentiment de me trahir, de ne pas représenter ce que je pense réellement. Les gens m’écoutent, hochent de la tête, et au fond de moi, je sais qu’ils ne saisissent presque rien. Ils sont dans l’illusion d’une certaine compréhension et au mieux, ils se perçoivent à travers mes mots et mon vocabulaire fait écho dans leur propre monde intérieur. Nous passons notre vie à raconter et commenter les mêmes sentiments. Ce périple est un radotage continu.
Communiquer, c’est identique à manger. On entend des mots comme on avale des aliments et après on les expulse. C’est presque intestinal pour certains. Quand les mouvements péristaltiques de leur cerveau rentrent en action, la logorrhée s’en suit.
Certains me ravissent quand ils ouvrent la bouche
Ce n’est pas vraiment ce qu’ils avancent, mais plutôt la mélodie qui en ressort. Les concepts, dits à l’oral, sont tellement approximatifs et fréquemment contradictoires avec les actions de ceux et celles qui les prononcent qu’il vaut mieux entendre la musicalité des mots, que de leur attribuer une quelconque importance.
Souvent, ceux dont je dévore les paroles, ces bons tribuns, ces orateurs hors du commun sont de grands manipulateurs. Ils ont saisi que l’attitude derrière ce qui est dit vaut 100 fois la marmelade racontée. Tiens-toi le dos droit, fais déferler un amas de mots avec confiance et conviction, puis, peu importe la teneur de ton récit, les gens y croiront. Parce que ces gens, eux aussi, écoutent la mélodie derrière l’histoire, cette espèce de chant de sirène, ce son hypnotique qui ne peut qu’exclusivement ressortir d’un karaté-kid rhétorique.
Anthony de Mello disait: «Ceux qui disent ne savent rien, et ceux qui savent ne disent rien.» Je me retrouve dans ce que ce jésuite indien prétendait. Quand je me tais, l’instant que j’écoute et regarde, le spectateur en moi touche une certaine part de vérité. Ne me demandez pas de vous expliquer, au premier mot, je m’éloignerais de cette vérité.
Bernard Werber, lui, disait qu’il y a dix façons de ne pas se comprendre dans une communication. Il terminait en disant d’essayer quand même. Tenter quand même? Et pourquoi? Pour ma part, je crois que le silence en dit plus long que la majorité des bredouillements.
Et puis quoi maintenant?
Pour moi, les mots sont maintenant comme des balles que je lance à mes interlocuteurs dans le simple but de m’amuser avec eux. Je n’espère pas de révélations, de sagesses conséquentes, de logique imposante ou de compréhension subjective. Je sollicite seulement qu’ils me renvoient la balle.
Tel un chien qui ne connait pas la définition de cette balle, je cours vers elle pour la rattraper, diverti à souhait.