Lettre à celui qui ne la lira jamais
Vivre sans connaître son père, c’est un peu comme vivre sans connaître une partie de soi. Il y a des gens qui ont le même sang que moi, mais je ne connaîtrai jamais leurs noms. C’est se sentir coupable sans aucune bonne raison. Après tout, je n’étais même pas née, comment ça pourrait être de ma faute? C’est avoir peur que les gens partent parce que n’importe qui peut partir un jour, même toi, la personne qui devrait m’aimer le plus au monde. Vivre sans toi, c’est n’avoir aucun sens à donner au mot Papa. C’est devoir expliquer à tout le monde pourquoi tu n’étais jamais présent aux rencontres de parents. C’est voir le regard des gens et les entendre s’excuser quand je leur parle de toi. Comme si c’était un drame, comme si je savais c’est quoi vivre autrement, comme si je pouvais ressentir le manque de quelqu’un que je ne connais pas?
On dit que je te ressemble. Que nous avons cette même teinte de blond dans les cheveux. Tu es petit, comme moi. Tes yeux changent de couleurs parfois, comme moi. Deux goûtes d’eau, un parfait mélange entre nos deux ADN. Tu devrais en être fier, non? Les parents sont fiers que leurs enfants leur ressemblent habituellement. Honnêtement, je n’en sais trop rien. En fait, c’est à peu près ça vivre sans père; c’est vivre avec une tonne de questions en tête, mais aucune réponse à leur donner.
Vivre sans père, c’est apprécier davantage la présence des autres. Il y a tellement de choses que je ne saurais pas aujourd’hui si aucun homme n’avait, un peu à leur façon, pris ta place. Vivre sans toi, c’est apprécier encore plus tout ce que Maman a fait pour moi, seule. C’est aussi apprendre un paquet de choses par moi-même et accomplir tout ce que je veux malgré tout. La vie continue.
Malgré tout, ton absence m’a appris le pardon et le courage. Oui, Papa, tu n’as jamais été là, mais tu m’as quand même donné le courage de pardonner et de comprendre plusieurs choses. Peut-être que tu as eu peur, je ne peux pas t’en vouloir pour ça. J’aurais aimé t’en vouloir, ça aurait sûrement été plus facile à surmonter, mais je ne t’en veux pas. Tu avais tes raisons de partir, c’est peut-être mieux comme ça?
Vivre sans toi n’a pas toujours été facile, mais la vie sans toi est quand même magnifique et ça, je ne m’en rendrais pas compte si j’avais de la rancœur en moi. Je ne cherche plus à avoir de réponses parce qu’au fond, je n’en veux pas tant que ça. Tu as pris un chemin différent du mien et c’est ben correct. On se trouvera peut-être un jour, le monde est bien petit, tu sais. En attendant, je te souhaite tout le bonheur que tu peux espérer et de mon côté, je continue mon petit bout de chemin avec ceux qui sont restés.