Pourquoi tu pleures?
Échec, le mot était fort. C’est d’ailleurs en l’évoquant que mon corps s’est réveillé de son état d’engourdissement. Pourtant, toujours pas de larmes. Que faisaient-elles, qu’avaient-elles de mieux à faire que de monter sur scène et dévaler le long de mes joues? Scénario dramatique, réaction des plus ordinaires. Je me disais que c’était le moment de pleurer. Le moment d’encaisser le choc. J’évoquais mes larmes, je leur disais, allez maintenant, vous pouvez surgir, je ne vous en voudrai pas. Pleurer n’est en rien une honte, encore moins dans un moment comme celui-là.
Je ne comprenais pas. J’étais certaine que j’étais dans un épisode de déni inconscient. J’avais l’impression que, peut-être que, la réaction que j’avais refoulait les larmes sans le vouloir, parce que je n’acceptais pas ce qui m’arrivait.Les heures ont passé. Puis, des jours. Plus le temps avançait, plus je redoutais ce qui était en train de m’arriver. Séances d’autodiagnostic obligent, j’ai considéré plusieurs pathologies en passant par d’interminables théories en psychologie. Chaque diagnostic semblait apporter une réponse à mon état, sans toutefois me convaincre de quoi que ce soit. J’étais peut-être rendue insensible. J’espérais que non, parce que j’ai besoin de ma sensibilité comme le tournesol a besoin des rayons du soleil. Sans sensibilité, je suis comme un diamant sans pression: je n’ai aucune valeur.
Et puis la colère a fini par faire son apparition. Nouveau symptôme, même problématique. Les larmes ne venaient toujours pas. J’étais condamnée à ne plus jamais ressentir le petit courant qui fait vibrer la mâchoire rien qu’avant de déclencher les flots d’eau saline. Ce sentiment de trop-plein qui finit par déborder et qui libère, du même coup, les tensions et les excès de colère. Le plus dur dans ces moments c’est que la vie continue. On ne peut pas se permettre de s’effondrer. Il faut continuer, malgré ces mots qui changent notre vie, malgré ce qui allait bientôt se révéler comme n’étant en rien un échec.
Les heures s’enchaînent, la vie n’attend personne. C’est sans doute une bonne chose, sinon on passerait notre vie à attendre après les autres. Malgré tous les bouleversements qu’apportait cette nouvelle, je ne pouvais pas m’effondrer. J’en étais incapable. Il y avait cette force criante à l’intérieur de moi qui me guidait. Ce sont de ces moments que les grandes histoires sont faites.
Et ce n’est qu’en rentrant chez moi un soir, lorsque je parlais avec ma mère au téléphone, que tout d’un coup, les larmes sont survenues. Ma mère, douce comme de la soie, me demanda: «Pourquoi tu pleures?» Et les yeux brouillés par des vagues immenses, j’ai enfin compris. Je l’ai ressenti en dedans de moi: un grand moment de lucidité comme on en vit peu au cours d’une vie. Moment où tout est clair, où plus aucune interrogation ne vient troubler le cœur. Tout était simple et vrai. Je pleure parce qu’à partir d’aujourd’hui, je suis libre, parce que je n’accepte plus d’être prise à travers les mailles. Je m’émancipe un peu plus à chaque jour qui passe. Je n’ai plus peur des mots, de l’échec, surtout. J’ai retrouvé ces petits trésors qui perlent mes joues délicatement. Je suis humaine, dans toute ma force et ma vulnérabilité, à la fois faillible et invincible.
Devant ce retour tant attendu, je me suis allongée sur mon lit, me laissant m’échoir doucement, délicatement, comme si j’étais au théâtre. Mon souffle était paisible et serein. C’est à ce moment que les yeux rivés vers le plafond, mes larmes ont cessé. J’ai esquissé, malgré moi, un petit sourire.
Et je me suis arrêtée, devant toutes ces possibilités qui s’offraient maintenant à moi. Devant l’avenir prometteur qui m’attendait. Devant ma jeunesse et devant tout ce que la vie avait à m’offrir et je me suis demandée, au fond, pourquoi tu pleures?