Amours et anecdotes: Amélie (partie 1)
La semaine dernière, je suis allée prendre un verre avec une de mes plus vieilles amies, Amélie. On avait de quoi célébrer: elle venait d’avoir une promotion dans l’une des firmes d’avocats les plus prestigieuses de Montréal et en plus, elle voulait me présenter le gars qu’elle fréquentait.
Amélie, c’est mon amie adulte. Tu sais, le genre d’amie qui est raisonnable, rationnelle, organisée et responsable. Le genre d’amie qui a toujours eu des appartements avec une décoration d’adulte, des sets de vaisselle assortis et des armoires qui renferment des accessoires de cuisine d’adulte, comme des sauciers.
J’ai toujours eu pour mon dire que quand tu étais propriétaire d’un saucier dans ta jeune vingtaine (à noter qu’il faut être propriétaire par choix et non parce que ta mère te l’a donné quand tu es déménagée), c’est que tu étais destinée une vie d’adulte.
À vingt-et-un ans, Amélie organisait déjà des soupers dans lesquels trônait, au milieu de la table, son saucier de porcelaine chinoise. Longtemps, j’ai été complexée par la symbolique fictive de ce maudit objet. Quand j’invitais mon amie à souper chez moi, j’avais toujours cette envie irrépressible de m’excuser de ne pas avoir de plats de service plus convenables que mes vieilles assiettes des années quatre-vingt avec des petites fleurs jaune moutarde qui, on se le dira, matchaient hideusement avec mon vieux divan verdâtre que j’avais récupéré dans le sous-sol de mes grands-parents.
Mais Amélie, ce n’est pas juste la fille qui a un saucier et qui organise des soupers parfaits dans son condo parfait. Amélie, c’est aussi la fille qui n’a pas la langue dans sa poche, qui est cynique, brillante, indépendante ET qui me livre les secrets du monde corpo, monde que je trouvais à priori profondément ennuyant… jusqu’à ce que j’apprenne ce qui se passe dans les partys de bureau ! (D’ailleurs, depuis qu’elle m’a raconté le dernier party, mon souhait le plus cher est qu’elle m’invite pour que je puisse enfin voir le boss qui exécute en titubant la chorégraphie de Cœur de loup avec sa cravate en soie à 150 $ autour de la tête.)
Bref, j’étais attablée la semaine dernière dans un chic bistro du centre-ville en les attendant. Je me sentais un peu comme une outsider avec mes jeans et mes humbles ballerines dans cet endroit bondé de complets Hugo Boss et de talons hauts dernier cri. Alors que je me faisais ces réflexions, j’ai vu mon amie entrer dans la salle. Je lui ai fait un signe de la main et je l’ai regardée se frayer un chemin dans ses talons vertigineux jusqu’à moi.
– Il est où Maxime ? ai-je demandé en jetant un regard vers la porte d’entrée.
– Maxime ? Non, Mathieu, tu veux dire.
– Ah oui, Mathieu. Excuse-moi.
– Bah, ce n’est pas grave parce il n’y aura pas de Maxime ni de Mathieu ce soir.
– Oh ! Pourquoi ? Il n’a pas pu se libérer ?
– C’est fini entre lui et moi.
Je l’ai observée pendant qu’elle levait la main pour faire signe au serveur qu’elle voulait commander. Elle m’avait annoncé la chose avec toute la désinvolture du monde.
– Ben… ça va ? Pourquoi tu ne m’as pas appelée pour me le dire ?
– J’étais occupée au bureau, m’a-t-elle simplement répondu.
– Mais… est-ce que ça te fait de la peine ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– Il s’est passé que Mathieu souffrait du syndrome de Dieu.
J’ai éclaté de rire. Je ne sais pas pour vous, mais j’en ai déjà rencontré des gars au syndrome de Dieu. Souvent, même. Ils sont plus courants qu’on ne le pense, et cette journée-là, j’ai eu la preuve qu’ils pouvaient évoluer dans n’importe quelle sphère de la société.
L’homme au syndrome de Dieu est une espèce absolument fascinante puisqu’elle démontre une confiance en elle-même qui résiste à toute épreuve.
Comme elle est au début de sa carrière, Amélie a fait le choix de ne pas s’investir dans une relation amoureuse pour se consacrer pleinement à son travail. Elle fréquente des hommes ici et là, mais jamais rien de sérieux. Elle veut juste se distraire et passer du bon temps. C’est ce qu’elle avait expliqué à Mathieu, mais il ne l’a pas crue pour la simple raison que, selon Mathieu, TOUTES les femmes veulent être en couple avec lui et TOUTES les femmes tombent sous son charme instantanément.
Le regard haut et fier, l’homme au syndrome de Dieu est facile à repérer. Il entre habituellement dans une pièce avec la même prestance que le pape dans son habit pontifical et lorsqu’il t’adresse la parole, il te fait comprendre assez rapidement que c’est parce qu’il daigne le faire, dans toute sa magnificence.
Avec les années, Amélie et moi nous étions d’ailleurs rendu compte que ce syndrome n’était même pas proportionnel au degré d’accomplissement de la vie. Non, non. Il existait de parfaits demeurés qui demeuraient convaincus qu’ils étaient sensationnels et irrésistibles.
– Quand je lui ai dit que je ne voulais pas m’investir dans une relation sérieuse, sais-tu ce qu’il m’a répondu ? m’a-t-elle demandé.
– Haha ! Non, mais j’ai hâte de le savoir !
– Il m’a dit : « Arrête de te mentir à toi-même, tu vas juste finir par te faire du mal » ! Tu te rends compte ?
J’ai levé les yeux au ciel en riant.
– Non, mais attends, a-t-elle continué, scandalisée, j’aurais eu un fils avec lui et il aurait probablement fallu que je l’appelle Jésus ! Jésus, le fils de Dieu !
Je me suis concentrée pour ne pas recracher ma gorgée de vin sur la table tellement je trouvais l’idée drôle.
– C’est fou quand même qu’il soit encore comme ça à cet âge-là ! ai-je lancé.
– Je sais ! Moi qui pensais que dans le monde du travail, les gens étaient plus sages, moins ados, je me suis royalement trompée ! Me semble qu’à trente-quatre ans, tu devrais avoir compris que c’est juste ta maman qui te considère comme l’incarnation de Dieu, non ?
J’ai énergiquement hoché de la tête. Elle s’est tue quelques secondes.
– J’ai quelque chose d’autre à te dire…
– Quoi ? ai-je demandé.
– Je sais que tu ne vas pas approuver, mais… j’ai envoyé un texto à Phil tantôt. On va souper demain soir.
– Phil ? Non ! N’importe qui, mais pas lui !
Elle a haussé les épaules en me regardant avec un sourire coupable.
À suivre…
Par Karine Richard
Collaboratrice spontanée
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