Françoise Abanda: Autopsie d’une entrevue ratée
La date avait été fixée à l’aide d’un employé qui s’occupe des communications chez Tennis Canada. Le grand jour : vendredi 24 avril à 12 h au Stade Uniprix.
Nerveuse? Légèrement, mais surtout impatiente à l’idée de rencontrer la joueuse qui avait tant bien fait, le weekend précédent, à la Fed Cup, un tournoi mondial féminin disputé par équipe nationale.
J’allais donc l’interviewer pour faire une mise à jour de sa carrière et de sa première saison plutôt difficile chez les professionnels. En novembre dernier, mon entretien avec cette joueuse m’avait fort surprise. Cette athlète laissait transparaître une maturité et une confiance en ses moyens très rare chez une jeune fille de 17 ans. Une confiance et un calme qui se reflètent dans son style de jeu rarement précipité. Attentive à la moindre erreur de son adversaire.
Habituée aux nombreuses comparaisons avec Eugenie Bouchard de trois ans son aînée, Françoise Abanda ne se met pas de pression supplémentaire pour autant. Envisageant le top 100 et même le top 50 au classement à la fin de 2015, cette jeune athlète souhaite continuer sa progression et se tenir loin des blessures qui lui ont fait manquer la majeure partie de la saison en 2013.
Arrivée à 11 h 40, bloc-notes en main, j’attends patiemment sa venue à la cafétéria. Me reconnaîtra-t-elle? Sera-t-elle ennuyée par ma venue? Va-t-elle être aussi sympathique que la dernière fois? Tant de questions, sans réponse pour l’instant.
12 h 15 passe.
12 h 30 arrive.
Plus de cinquante minutes passées assises à la table du Stade Uniprix. Mes rares signes de ponctualité au quotidien me jouent finalement des tours. Ce sont les gens qui m’attendent habituellement et non le contraire. Le karma, me dis-je. Cette entrevue est beaucoup plus importante que ma patience mise à rude épreuve, donc j’attendrai tout le temps qu’il faudra.
12 h 45.
Je fais pour la énième fois le tour de la salle du regard en espérant la voir apparaître du haut de ses 5 pied 11. Pour avoir l’air occupé vis-à-vis les employés et les joueurs de tennis prenant place dans la cafétéria, je gribouille dans mon carnet constatant rapidement que mes talents d’artiste ne se sont nullement améliorés depuis mon dernier cours d’art au secondaire.
13 h.
Le temps se fait long. Très long même. Je me fais un petit plan dans ma tête, un décompte avant mon départ : « Véro, à 1 h 30, si elle n’est pas encore venue à votre point de rendez-vous, tu quittes c’est tout. Un gros tant pis et une petite (grande) déception avec ça. » Ma patience à ses limites même pour ces athlètes que j’apprécie tant.
13 h 15.
Le doute s’installe en moi. Je l’ai peut-être manqué en pratiquant mon talent de dessinatrice? Elle ne m’a peut-être pas remarquée dans la cafétéria bondée du haut de mes 5p11 et de ma chevelure rousse. « Impossible, me dis-je. Une grande rousse se fait remarquer, maman te l’a toujours dit. » Si ma mère le dit…
13h30 pointe le bout de son nez. Aucune présence de Françoise Abanda. Honteuse et surtout déçue, je me lève et quitte le Stade Uniprix.
«C’est le métier qui rentre Véro», me dit mon entourage. Phrase moche que les gens disent à quelqu’un d’amèrement déçu pour essayer de le réconforter. Un peu comme la fameuse phrase «Un de perdu, dix de retrouvés». Ces phrases ne fonctionnent pas. Point final.
Ma déception était vive surtout que j’attendais avec impatience cette entrevue depuis plus de deux semaines. Je n’écris peut-être pas pour LaPresse ou je ne travaille pas pour Radio-Canada, je n’ai pas autant de visibilité que d’autres journalistes d’expérience. Non, en effet. Par contre, faire faux bond à une personne, que ce soit pour une entrevue ou pour d’autres raisons, ça ne se fait pas. Peu importe ton statut social. Peu importe qui tu es.
Françoise Abanda ne s’est jamais présentée pour des raisons qui lui sont propres. J’ai été déçue, j’en suis revenue et j’ai appris. Apprise qu’à l’avenir, je ne me ferai plus autant d’attentes relativement à mes entrevues. Que ce soit un athlète, un artiste ou un tout autre intervenant, tous ces individus restent des humains. Des humains imparfaits. Des humains avec leurs qualités, mais aussi leurs défauts qui vont en réjouir et en décevoir d’autres.
La partisane en moi a été déçue par une athlète qu’elle appréciait. La journaliste en moi a été déçue par le manque de pertinence qu’aura son prochain texte. La partisane s’est effritée, la journaliste non. Celle-ci en est ressortie plus grande et plus apte à affronter les autres faux bonds qu’elle vivra dans sa carrière.
«C’est le métier qui rentre Véro.» Cette phrase n’est peut-être pas si moche que ça finalement.
Par Véronique Sénécal
Collaboratrice spontanée
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