L’agora des imbéciles
J’adore quand une discussion est tellement enflammée qu’on flotte à quelques centimètres au-dessus du répertoire des injures personnelles pour prendre le dessus. C’est une joute intellectuelle réellement stimulante pour un trouble de l’opposition comme moi.
J’ai une passion pour ça comme certains ont une passion du hockey; j’aime analyser les commentaires comme on analyse le jeu, revoir les failles de l’argumentaire comme on parle d’une faiblesse d’un gardien, confronter les propos comme on critique les choix d’un directeur général, etc. Vous voyez le genre. Je suis un amateur de grands débats profonds et de réflexion critique. Pour moi, plus intelligent est le débat, plus complexe est la mélodie qu’elle joue à mes oreilles. J’aime ça. J’suis comme ça.
C’est vrai, ça tombe sur les nerfs de ma famille; pas moyen d’avoir une discussion et d’avancer un argument comme ça, sans être sûr qu’il soit sans faille, quand je suis dans les parages. Vos énoncés, mon oncle, ma belle sœur, passeront à travers le filtre critique pour voir s’il est à l’épreuve des enseignements de Platon ou de Normand Baillargeon.
Ça tombe sur les nerfs de ma blonde aussi… (surtout en fait). À cause de moi, nos chicanes de couple sont immensément plus complexes. Je suis toujours là pour retourner un argument contre elle. J’avoue qu’en couple, ma passion devient un atout évident! J’économise beaucoup d’argent en la convainquant qu’on ne devrait pas aller au magasin, par exemple. Elle n’est d’ailleurs vraiment pas d’accord avec ces propos; nous allons pouvoir en débattre, ce qui me comble de joie.
Cela dit, j’adore écouter la radio de Québec pour prendre les animateurs en faute. Je suis réellement servi avec Radio X, le FM93 et NRJ qui s’est récemment mis de la partie. Les rumeurs sont vraies, certains animateurs de radio ont un talent notable pour émettre des opinions non fondées.
Mais par-dessous tout, le summum, l’extase de mon amour indéfectible pour le combat d’idée, c’est internet.
Plus particulièrement Facebook. Là où des amateurs ont la tribune des professionnels. Pour la joute verbale, Facebook, c’est un peu comme une ligue de garage, mais qui passe à RDS.
Le réseau social, c’est notre nouvelle agora. C’est l’espace public qu’on avait perdu depuis des années. C’est là que tout un chacun peut prendre la parole et laisser aller ses doigts à composer tranquillement sur son clavier les messages les plus… imbéciles.
Et c’est parfait comme ça!
Parfait parce que c’est terriblement divertissant.
Je me confesse: je peux passer des heures dans une semaine à lire les commentaires qui suivent un post d’Éric Duhaime sur Facebook ou un article de la section «Opinion» du Journal de Montréal. À chaque fois, je lis les commentaires et, pour les auteurs des commentaires les plus étonnants, je m’arrête pour aller fouiner un peu sur leur profil, question de voir par leurs photos mises en ligne, leurs selfies de salles de bain, la sorte de bière qu’ils boivent et la marque de leur VTT. (Oui, vous avez vu juste, ce sont là des préjugés, et j’adore ça.)
Ce que j’en retire? Premièrement: beaucoup de plaisir à me sentir soudainement si brillant, si éduqué. Quand on se compare, on se console. C’est bon pour la confiance en soi. Deuxièmement: la leçon que ce n’est vraiment pas tout le monde qui a compris les principes d’éthique et d’utilisation adéquate des réseaux sociaux. La plèbe a une forte habileté à s’insulter sans se connaitre, à s’entrecatégoriser (clowns gauchisses, néo-conservato-nazistes, hippie-greenpeace-anticapitaliste…) sans vraiment savoir de quoi elle parle.
Par souci de rigueur, je me suis efforcé de relever pour vous des exemples éloquents de mes propos, trouvés en quelques heures à peine sur le réseau social que vous reconnaitrez tous. Bien sûr, ce sont là tous des exemples pris hors contexte et ciblés. J’ai quand même pris le temps d’introduire chaque commentaire pour vous. On obtient donc:
Le classique à propos de tout ce que peuvent dire les associations étudiantes.
Une critique claire contre le gouvernement et sa politique minière. Ça n’a pas de bon sens. Ça «rapote» pas assez d’argent les mines.
Un rappel à l’ordre comme quoi, effectivement, n’ayons pas trop d’attentes.
Je vous laisse entrevoir l’allure du débat quand ça parle de « l’affaire Joël Legendre »…
Ahhhh, la nostalgie du bon vieux temps!
Et que dire des infolettres syndicales « pro anti-austérité ».
Heureusement, certains sont là pour dénoncer les dérives communistes du parti conservateur…
Et on ne pourrait passer outre l’évènement de la manifestante atteinte par un projectile en plein visage le printemps dernier, alors que le débat a atteint des sommets.
On s’est même permis de ramener Joël Legendre dans la discussion, de façon particulièrement brillante
C’est trop pour vous? Pas pour moi. Amenez-en! La campagne électorale vient juste de commencer. Certains n’aiment pas Thomas Mulcair:
D’autres n’aiment pas Justin Trudeau:
Et enfin d’autres n’aiment pas Stephen Harper:
Tandis que le féminisme (ou devrais-je dire « néo-féminisme ») fait couler beaucoup d’encre dernièrement, certains rajoutent de l’huile sur le feu… :
Et enfin, un des très nombreux cas d’attaques personnelles qui ne font pas vraiment avancer le débat, rédigé avec soin, comme toujours, par un internaute caché derrière son écran :
Fort heureusement pour mon hobby, les journaux québécois les plus consultés (La Presse, le Journal de Québec et le Devoir) proposent également une tribune (modérée, Dieu merci!) à leurs lecteurs désirant prendre la parole.
Je vous laisse vous rassasier de ces commentaires remplis de subtiles effluves d’ignorance!
En parlant des salaires et des conditions de travail à Radio-Canada, on a la chance de se faire réveiller… Allloooo.
Ou encore quand il est temps de parler des mesures décincitatives pour les fumeurs.
Bon, peut-être qu’après avoir lu un article aussi dégradant pour les gens les moins soigneux de leur avatar numérique, vous vous sentez un peu mal. C’est normal, c’est un sentiment qu’on appelle la compassion. J’aurais aimé vous fournir un numéro de téléphone où appeler pour faire vos dons et participer à endiguer ce problème, mais il n’y en a pas.
Ce que je peux faire cependant, c’est vous (me) déculpabiliser en tentant de déformer la réalité et vous faire voir qu’au final, c’est un peu comme regarder du monde tomber en bas d’une planche à roulettes, ou d’une trampoline, sur vidéo YouTube. On aime tous ça. La différence, c’est seulement que ces gens-là ne savent pas qu’ils tombent. Ça, c’est peut-être un peu triste, j’avoue.
Alors quand on dit et répète à quel point l’éducation est importante, c’est entre autres pour éviter, à l’ère de la connexion internet accessible à tous, de tomber en pleine face avec notre discours.
Comptez-vous chanceux d’avoir le savoir que vous avez et de vous éviter bien des chutes inutiles.
Enfin, si vous vous demandez pour qui je me prends pour écrire un texte prétentieux comme ça, vous marquez probablement un point…!
Par Sébastien Verret
Collaborateur spontané
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