MTF: Elle était lui (Partie 2)
Qu’arrive-t-il lorsqu’une personne naît dans le mauvais corps? Le mois dernier, j’ai eu la chance d’interviewer une jeune transsexuelle, Jesyka, née Philippe. Elle nous livre les plus grands secrets de sa transformation physique et identitaire, le plus grand dilemme de sa vie. (Pour la première partie de l’entrevue, c’est ici.)
Maintenant, j’aimerais savoir comment ça se passe, le processus de prise d’hormones. À quel moment est-ce que tu commences à te présenter en tant que femme?
Au moment où j’ai pris la décision, j’avais une carrière en danse sociale, j’étais le meilleur au Québec, mais j’ai tout lâché parce que la transition était plus importante pour moi, j’avais besoin de m’y consacrer à 100%, de me renouveler, de me redécouvrir, de me reconnaître. Ensuite, m’habiller en femme, c’est venu un peu avant la prise d’hormones, mais vivre complètement en femme, c’est venu après environ cinq mois. Les premiers mois sont les plus difficiles. Tu rencontres premièrement un spécialiste, souvent un sexologue, pour confirmer que tu as réellement un « trouble du genre » et qu’il ne s’agit pas de quelque chose d’autre. Pour avoir accès aux hormones, il faut absolument qu’un spécialiste te donne le diagnostic de « femme », puis ensuite il y a une consultation avec un endocrinologue. La première rencontre est stressante, mais nécessaire, c’est là où tu dis tout ce que tu ressens et juste d’en parler et de te faire confirmer que ce que tu vis est réel, c’est rassurant. Il ne m’a fallu qu’une seule rencontre pour avoir ma lettre, ma confirmation que je pouvais changer de sexe. D’ailleurs, je la vois toujours à ce jour, c’est donc plus que juste au niveau médical, on s’occupe de moi au niveau psychologique aussi. C’est un choix que j’ai fait. D’ailleurs, je suis chanceuse parce que ma transformation est couverte par mon employeur, mais sinon il faut calculer environ 130$ par mois pour la prise d’hormones. Et ça, tu prends ça le reste de tes jours, parce que sinon ton corps recommence à produire ce qu’il sait produire. En continuant les hormones, je vais vieillir en tant que femme, je ne vais pas perdre mes cheveux, par exemple, mais je risque d’avoir la culotte de cheval!
Qu’est-ce qui change en premier avec la prise d’hormones? Qu’est-ce qui prend plus de temps à se modifier?
Physiquement, ce sont les traits qui s’adoucissent en premier. Ton visage est moins osseux, j’étais très creusé avant, mes pommettes ont gonflé. Ensuite, les seins apparaissent assez rapidement avec les hormones, il fallait même que je mette un foulard ou quelque chose parce qu’à ce moment-là je me présentais encore publiquement comme Philippe. Tu te sens comme prépubère, les seins sont sensibles, ça fait mal, tu commences à sentir comme une petite boule à l’intérieur. Tu te sens femme, même dans le tempérament. Tu te sens plus calme. Comment ça fonctionne, c’est que tu prends des hormones féminines mais aussi de l’Androcur, qui fait cesser toute production de testostérone, ce qui veut dire que même le sperme, je n’en crée plus. Déjà, d’éliminer cela du corps, tu te sens en paix. Plus mes traits changeaient, plus je laissais pousser mes cheveux, on dirait que ça s’est fait progressivement, naturellement. La transition complète entre homme et femme, ça s’est fait lorsque j’ai pris un mois de congé au travail. Je suis revenue en femme. Les gens s’en doutaient, mes collègues étaient vraiment contents pour moi. Ensuite, la pilosité disparaît tranquillement, sur les bras et les jambes, c’est pareil pour le torse, mais la barbe, par contre, j’ai dû la faire au laser. Ça m’a pris huit traitements. J’étais peu poilue déjà en partant en tant qu’homme. Il y a des petits détails qui ne se changent pas, comme la pomme d’Adam, des fois les gens qui ne savent pas que je suis trans me font remarquer que la mienne est très prononcée.
Quelles sont les options pour modifier la voix?
En ce qui concerne la voix, il faudrait une chirurgie, j’y ai pensé mais ça me fait peur. Tu peux perdre la voix complètement et devenir muet. Mais quand même, imagine, tu te retrouves avec une voix qui t’est inconnue, tu t’entends de l’intérieur, dans ta pensée, mais ce qui sort, ce n’est pas pareil… Bref, ça ne m’intéresse pas. Ça me dérangeait au début, surtout en public, j’ai l’impression que mes premières paroles vont me trahir, mais j’ai lâché prise, je suis qui je suis.
Est-ce qu’on apprend à parler, à bouger, à agir en femme?
On dirait que c’est inné, en tout cas pour moi, c’est naturel, Par exemple, j’ai toujours croisé mes jambes, je parle beaucoup avec mes mains, mes mouvements sont délicats. On ajuste le physique, pas le comportement. Le seul changement qui m’a été difficile a été de parler de moi au féminin, de dire « je suis contente » et non pas « je suis content », c’est tout un réflexe à désapprendre.
Es-tu satisfaite de ce que tu as l’air en femme?
Pas encore. Il y a des jours que oui et d’autres que non. On est tellement difficiles par rapport à soi-même, c’est comme quand une fille te dit « Ah, aujourd’hui je n’aime pas mes cheveux », alors que toi, tu n’as absolument rien remarqué. Moi, en tant que trans, quand je me regarde dans le miroir, il y a des traits, je remarque, qui viennent de Philippe. Alors j’associe cela à de la masculinité. Par exemple, mon nez me rappelle l’homme que j’ai été. Je suis allée faire retoucher mes seins au Mexique parce que les hormones m’ont donné un petit A. C’est différent pour tout le monde mais pour moi, c’est ce que ça a donné, même après avoir attendu un an et demi comme recommandé. C’est tellement plus abordable là-bas. Ici, ce que je me suis fait faire aurait coûté environ 9 000 à 10 000$. Là-bas, ça m’a coûté 5 000$ le voyage au complet : les seins, l’hébergement, la bouffe, etc. C’était important pour moi d’avoir une bonne qualité de prothèses, parce que ça peut avoir l’air vraiment fou quand tu poses des seins sur un tronc presque complètement plat.
Qu’est-ce que tu avais hâte d’avoir, ou de ne plus avoir?
J’avais hâte de tout, de m’habiller comme je voulais, de magasiner, de me faire les cheveux, de me maquiller, mais j’avais peur de tout perdre aussi. J’avais peur que les gens qui me connaissaient ne me reconnaissent plus, parce que j’ai beau avoir la même personnalité, mon physique a tellement changé et mon attitude aussi, que ce sont deux personnes distinctes.
Sur tes papiers d’identité, tu es une femme?
Oui, même pour le nom. Maintenant tu n’es plus obligée d’avoir recours au changement complet de sexe pour modifier tes papiers. Certaines pièces ont encore de vieilles photos de moi, mais ça ne me dérange pas. Le nom, tu peux le changer n’importe quand, même si tu es un homme, tu peux avoir un nom féminin. De toute façon, on ne les sort tellement pas souvent, nos cartes, que je ne suis pas gênée.
Comment as-tu choisi ton nom?
J’hésitais entre deux noms, parce que quand je travaillais chez Mado comme drag queen c’était Heather, mais j’étais sur des sites de rencontre et je me présentais comme femme, avant que je rencontre mon chum, et j’avais spontanément choisi Jesyka comme nom. Je trouvais que ça m’allait bien et donc c’est resté et ça s’est officialisé.
Côté sexuel, comment ça se passe avec ton chum?
Bien que je sois consciente que les gens pensent autrement, je t’assure que notre relation est complètement normale. Ni mon chum ni moi ne sommes des freaks dans nos habitudes sexuelles. Ce que j’ai en avant, on ne l’utilise pas du tout, on l’ignore. Alors, pour le moment, c’est de la pénétration anale et c’est moi qui reçoit, pas l’inverse. C’est surprenant mais pour beaucoup d’hommes, c’est un fantasme que de coucher avec une transsexuelle, tu peux vraiment tomber sur des gars orgueilleux qui, en public, font comme si ça les dégoûtait, mais qui sont les premiers à t’envoyer des messages. Certains hommes hétérosexuels n’ont pas ce fantasme mais s’en foutent royalement et se disent « Je la trouve belle, elle m’excite, on va passer un bon moment ». Je n’ai jamais fait croire à un gars que j’ai un vagin entre les deux jambes, j’ai toujours été très franche, par respect autant pour le gars que pour moi, pour être honnête envers moi-même et être beaucoup plus à l’aise dès le départ. Pourquoi ne pas le dire? Ça ne m’intéresse pas, un gars qui me rejette pour ça. Mon chum est en amour avec la femme intérieure que je suis. De toute façon, même moi je ne veux pas qu’on touche ce que j’ai entre les deux jambes, je ne me sentirais plus femme du tout.
Sens-tu que tu es perçue différemment au quotidien, le regard des autres est-il toujours présent ou tu te fonds dans la masse?
J’ai été surprise de comment les gens s’en foutent. Peut-être qu’ils me jugent lorsque je passe dans la rue, mais au pire des cas, leur jugement dure quoi, trente secondes? Ensuite ils continuent leur chemin et oublient mon existence. Pour te donner une idée, j’allais au dépanneur et le caissier me regardait souvent, j’avais tellement l’impression qu’il me jugeait et pourtant, un moment donné il m’a abordée et m’a complimentée : « Tu me gênes, tu es tellement belle, je sais que tu es trans, mais ça ne me dérange pas du tout ». Beaucoup de gars m’approchent dans les bars, c’est flatteur, mais je suis déjà en couple! Je dirais que ce qui a été le plus difficile dans mon cheminement, ça a été de m’accepter, d’avoir confiance en moi, de prendre les compliments quand on me dit que je suis belle, j’ai remarqué que je trouve toujours des excuses, « Ah oui, pourtant je suis fatiguée aujourd’hui ». Je pense que toutes les femmes sont comme ça, on n’accepte pas les compliments, on est dures envers nous-mêmes et les autres. C’est quelque chose qui doit changer, on doit se soutenir entre femmes. D’ailleurs, chaque personne devrait être libre de devenir qui elle souhaite être.
Pour plus de photos et accéder à une vidéo de la transformation complète de Jesyka, visitez sa chaîne YouTube.