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Le monstre dans ma tête

Par Nerds – le dans Chroniques

Ça n’a pas été soudain. Si ça l’avait été, ça n’aurait pas pu être aussi sournois, aussi destructeur. Ce n’est pas vrai que tout va bien dans ta vie et que le lendemain tu es étendue sur ta toilette, deux doigts enfoncés dans la gorge. Ça ne fonctionne pas comme ça.

J’ai commencé par devenir beaucoup plus consciente de mon corps. Pas cette petite pensée le matin devant le miroir que beaucoup ont, pas ce petit remord quand on a trop mangé à un repas. Je pensais à mon gras tout le temps. Quand je me couchais, je sentais le gras tomber sur les côtés de mon corps. Assisse, je comptais les bourrelets créés dans mon ventre. Debout, je sentais mes cuisses se tordre, prendre toute la place.

Je me suis mise à acheter des vêtements plus amples. Si les vêtements ne me collaient pas au corps, ils ne pourraient pas dévoiler mon gras. Les jeans skinny s’accumulaient dans mon placard, prenant la poussière. Les robes étaient mes meilleures alliées : je restais féminine malgré la peur d’être cette chose laide que le miroir me renvoyait. Ainsi, les gens ne se rendaient pas compte d’à quel point j’allais mal.

Au début, les gens vont te complimenter. Quand j’ai perdu 10 livres, tout le monde était fier de moi. Eux, ce qu’ils disaient, c’était ça : Hey! Bravo, t’as perdu le peu de gras que tu avais. Tu es magnifique. Moi, j’avais un traducteur humain-monstre qui m’imposait ses révélations. Hey! T’étais, vraiment, vraiment grosse. T’es encore super laide. Perds donc 20 livres de plus. Avant que je ne m’en rende compte, ce petit monstre était passé de pensée intrusive à contrôle entier de mon cerveau. Je respirais par lui, je me sentais vivre par lui. Chaque fois que je croisais un miroir, une fenêtre, un écran, il hurlait sa haine de ce que j’étais.

Le monstre dans ma tête, il se nourrit de mes pensées noires. Il habite mon cerveau mais c’est mon ventre qui en souffre.

Source: Le Mauricien

J’ai tellement essayé de combattre ce maudit monstre, au début. J’enfonçais mes ongles dans la chair tendre de mon poignet pour combattre l’envie de les mettre dans le fond de ma gorge. Je tirais sur les cheveux fins de ma nuque pour provoquer une douleur différente, physique, pas mentale. Je frappais doucement les os de mes clavicules, dans l’espoir de calmer le tic-tac incessant de mon esprit qui rejouait en boucle l’histoire de La Petite Grosse Sans Amis, mais ça ne faisait que me montrer que mes clavicules, elles n’étaient pas saillantes. Ensevelies sous le gras. J’ai même donné un nom au monstre. Gerry. C’était tellement innoffensif, Gerry. Mais avec le temps, je comprends que nommer mon monstre Gerry ne changeait pas ce qu’il était vraiment. Mon monstre, il avait un nom, un simple, et juste le prononcer a changé tout ce que j’ai vécu dans les mois qui ont suivi. Accepter de nommer le monstre Anorexie, ça a tout changé. L’avoir fait avant la descente aux enfers, ça aurait changé quelque chose. Ou pas. Je ne sais pas. Je ne saurai jamais.

J’ai chuté. Et vite.

J’ai arrêté de prendre des desserts. J’ai réduit les portions. Je prétendais que je n’avais pas faim. Je ne buvais plus que de l’eau ou du café. Dix à douze cafés par jour. C’est laxatif le café. Ça aidait à me vider complètement. Le chant indigné de mon ventre m’a accompagné pendant quelques semaines, puis il s’est tu. C’est difficile d’avoir de l’énergie pour crier quand tu n’as plus rien en toi. Même si mon estomac avait été plus bruyant qu’une fusée, je ne l’aurais pas entendu derrière la voix du monstre qui écorchait tous mes sens.

Source: Huffington Post

Le plus facile, c’était les amies. Elles ne se sont rendues compte de rien. Je sortais avec elles en disant à mes parents que nous mangerions ensemble, je disais aux filles que j’avais mangé avant de venir. Si on devait boire – eh que c’était fantastique boire! – je prenais une demi-pinte, voire moins. De toute façon, la bière c’était comme un acide qui tuait ton ventre. Arrivée à la maison, je me faisais vomir de trois à quatre fois. Si les parents se levaient, je pouvais mettre ça sur le dos d’une brosse. Le lendemain, je faisais semblant de ne pas avoir faim.

J’ai perdu tellement de poids que tout le monde me regardait d’un air surpris.

Après tout ce temps, tes parents savent, forcément. Ils te connaissent par coeur. Moi, j’essaie de ne pas croiser le regard de ma mère quand je décline une nouvelle portion. On ignore le fait que je ne ferme pas la porte de la chambre de bains. Quand je Skype avec mes parents, qui savent bien que ma géniale colocataire surveille mes repas, on oublie que les jours où je ne mets pas la webcam, elle n’est pas brisée comme je le prétends, mais plutôt enfouie sous les travers de ce monstre qui me crie au visage à quel point je suis grosse.

La balance qui servait à te peser au moins cinq fois par jour, ta mère l’a réduite en pièces. Éclatée en mille morceaux, un peu comme ton coeur, d’ailleurs. Mais elle, elle se réparait pas. Ça fait déjà un an qu’il n’y a que le médecin qui a le droit de me peser, depuis que mes parents ont compris que je gardais un cahier où je notais mon poids 5 ou 6 fois par jour, au gramme près. Je triche quand je vais chez des gens. Parfois, je ne monte pas sur le petit objet qui me nargue. Dans ce temps-là, je pense que ça va mieux. 

J’ai toujours mon ruban à mesurer pour m’assurer que mes cuisses deviennent pas trop larges.

Parfois, je reste sous la douche des heures, pour essayer d’effacer l’odeur. Personne ne le dit ça. Mon haleine sent la pourriture en permanence. Mes dents ont minci dans la dernière année, détruites par l’acide de la bile. Mes ongles sont mous, irrécupérables. Mon vernis est toujours parfaitement fait. Je parie qu’il y a des filles comme moi, auxquelles le monstre souffle des pensées impures. Auxquelles le monstre dit à quel point je suis jolie.

Ça va mieux. Je mange un peu. Plus qu’avant, en tout cas. Je remplace mes envies frénétiques de vomir par de longues séances d’entrainement. Si l’effet amincissant reste le même, les dommages collatéraux sont moindre. J’essaie de méditer. D’avoir des pensées positives chaque jour. J’ai jeté tous ces magazines où des mannequins plus minces que moi s’affrontent sur la couverture. Quand je croise des filles sur la rue, ma première pensée va à leur grosseur, ma deuxième la corrige. J’apprends à répondre au monstre. J’apprends à parler. Je suis chanceuse, j’ai une famille qui m’aime, une coloc qui veut m’aider. Le monstre, il est tout seul.

Le temps des fêtes a été particulièrement éprouvant. J’ai peur. Une obsession, ça ne se remplace pas si facilement. J’ai peur de ce que l’avenir me réserve et j’ai peur de ce matin où je vais me lever, et où le monstre rira dans mon oreille. J’ai peur qu’il ne m’ait laissée respirer que pour mieux m’anéantir. Un espèce de plan diabolique, où le méchant emporte tout, la santé mentale, la santé physique, l’âme. Mais, et c’est le plus beau cadeau que je pouvais me faire, je ne me suis forcée à vomir que deux fois, ces deux dernières semaines.

Je vais battre mon record l’an prochain. Adieu, le monstre.

Le Monstre
2013-2015

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