S’autosaboter, juste au cas où
Est-ce que je devrais m’enfermer dans une tour d’ivoire pour être sûre que rien ne vienne troubler mon confort inconfortable? C’est comme si, pour moi, il n’existait qu’une certitude : toute la vie n’est qu’une mascarade et un jour, le rideau tombe.
En appréhendant ce coup de théâtre du destin, je laisse mon imaginaire divaguer vers des scénarios catastrophes tous plus farfelus les uns que les autres. J’ai l’impression qu’un de ces jours, mon corps ne me suivra plus. Un de ces jours, je me ferai remettre à ma place bien comme il faut. Un de ces jours, je frapperai un mur tellement fort que je ne pourrai plus me relever.

Ce moment fatidique, imaginaire-mais-crissement-réel-dans-ma-tête, me donne l’impression que je dois réagir. Je dois rester aux aguets. Il ne faudrait pas que la vie devienne trop agréable tout d’un coup. Je préfère me préparer perpétuellement à cette chute inévitable afin d’amoindrir la douleur du choc lorsqu’il viendra.
Ça fait que je m’empêche de vivre. D’un coup, tsé, que quelque chose m’arriverait…. Mieux vaut prévenir que guérir, qu’ils disent.
Qu’est-ce qui me pousse à être aussi effrayée? C’est comme si le « grand méchant loup » se cachait dans un recoin de ma tête. Parfois, je sens son regard inquisiteur, ses yeux brillants de mépris. Ces yeux-là rient de ma naïveté, de ma peur, je le sais. Le loup me rappelle sans cesse que même si j’essaie, je ne serai jamais parfaite. Il sera toujours libre de me juger à sa guise, car, étant humaine, je suis supposément « inadéquate ». Profondément imparfaite.
Ça envahit mon corps, ça tourmente mon ventre, ça agite mes pensées et ça triture mes mains, qui, ne sachant plus où se mettre, atterrissent sous mes dents qui leur octroient un féroce traitement.
Au lieu de traiter mon corps avec douceur, je le sabote. Je ronge mes ongles à en avoir mal lorsque mes doigts pressent les touches d’un clavier. J’inspecte chaque petit bout de peau qui dépasse et je l’arrache. Ça guérit tout croche. Je l’arrache encore. Encore. Encore.
Mais dis-moi, à quoi ça sert?
Car il va sans dire que j’ai beau me défouler sur mon corps pour calmer mon anxiété, il m’en faut toujours plus. Je suis simplement incapable de laisser sortir le méchant de façon équilibrée en faisant du sport comme les gens normaux. Ben non. Faut que ça soit tough. Faut que je me complique la vie un peu sinon, quand ça deviendra l’fun, je m’en rendrai pas compte. Je serai incapable de vivre le moment.
C’est quoi cette manière de penser là? Fuck off, ma tête! T’as pas raison, ok? T’aimes ça avoir raison tout le temps pis être la meilleure tout le temps, mais là, non! T’imposer un autosabotage, même adroit, même calculé, même divinement douloureux, ça ne sera jamais la bonne chose à faire, la bonne porte de sortie.
Il faut que j’apprenne au loup à faire des yeux doux. Une fois qu’il sera apprivoisé un peu, je pourrai relâcher la tension. C’est parce que je le sais que le loup je l’ai inventé de toutes pièces. Je pourrais souhaiter le faire disparaître, mais non. Après tout, un loup apprivoisé, c’est un chien : le meilleur ami de l’homme.