Le nez de Cyrano et autres complexes
Dans un magasin à grande surface, deux petites filles: la première s’empourpre de plaisir à la vue d’une robe de princesse, « la même qu’à la télé », crie-t-elle à sa mère déjà fatiguée. La seconde la regarde avec envie. Elle jette à peine un regard au bout de tissu pailleté que tient la petite excitée; un autre désir beaucoup plus fort l’habite. Ce qu’elle tait, cette envieuse, s’apparente à un rêve irréalisable.
Ça commence aussi jeune. On envie l’autre. Non pas qu’on ait honte d’être Noire, mais seulement, on veut être comme tout le monde. Et pour une enfant noire vivant dans une société majoritairement blanche, être dans les normes ne signifie pas seulement porter une robe de conte de fée comme toutes ses amies. Non. Être comme tout le monde veut dire être blanche.
Ça s’immisce ainsi dans notre esprit. Notre peau, nos traits, notre nez « cyranesque ». Pourtant, personne ne nous dit qu’on a un gros nez. Mais on se regarde dans le miroir et on voit cette excroissance en plein milieu de notre visage et on y pense. Parce qu’on désire un nez droit, noble et digne comme celui des statues grecques. Mais finalement, on se retrouve avec un nez qualifié d’épaté. Parfois, on aimerait aussi des lèvres plus fines (pour aller avec un nouveau nez, pourquoi pas!). À l’inverse de notre appendice nasal, on ne se gène pas pour nous dire qu’on a de grosses lèvres. Ou plutôt des grosses babines. Mot qui, au passage, désigne les lèvres des animaux. Ça commence à en faire des qualificatifs péjoratifs. On pardonnera à Michael Jackson d’avoir changé d’apparence.

On finira toutefois par vieillir et remiser notre beau rêve blanc. Un jour, en s’auscultant devant le miroir, on se surprendra à apprécier l’image que la glace nous renvoie. Nos vulgaires babines se transformeront en lèvres pulpeuses. On admirera l’éclat de notre peau et la facilité à pouvoir se vêtir des couleurs de l’arc-en-ciel au grand complet. Notre protubérance nasale, dont on pouvait dire bien des choses en somme, nous charmera par son caractère. On finira par s’aimer et on se dira qu’on est qu’une teinte de plus dans l’histoire de la diversité humaine.

Par Annabelle MG
Collaboratrice spontanée
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