Les mots-kleenex

J’avais pas vraiment regardé mon agenda de la semaine. Évidemment quand t’es à deux pouces d’un prof qui se noie dans l’bonheur de t’expliquer sa matière et qu’il te patauge à travers le regard parce que t’es son public proche, t’oses pas sortir ton téléphone-insignifiant et commencer à aller checker ton feed Facebook pour la 14e fois depuis le début de ta journée (essaie pas : tu l’as au moins fait au petit matin dans ton litte, moment qui remplace le tournage d’orteils ou le flattage de dos de la possible 2e personne, ou 3e, pas de mes affaires rendu là.) Tu choisis d’avoir l’air à ton affaire en ouvrant ton agenda couleur-école-primaire même si tu paies ta session à 1600$. Tu fais des crochets à côté de tes affaires en te disant check dans ta tête, avec autant d’ambition que celui d’un de tes potes des internets qui se fait un statut pour ses âneries, ramassant des likes de p’tites ben empressées d’être impressionnées.

C’est là que tu lèves tes yeux à moitié revenus de ta nuit passée dans un wannabe-sommeil, à moitié la reprise de ta journée dans le fond, version somnambule. Tu vois sur les 5 jours « Semaine de la prévention du suicide » transcrit avec espoir que ça va faire baisser les statistiques et créer un insight dans l’ventre des morveux qui braillent sans qu’on les entende.

Pis tu déboules un peu de ton cerveau. Le corps reste bien en place, position-j’ai-pas-d’articulations-pour-le-moment, sur ta chaise d’université qui grince que l’calisse. Ça fait déjà ça. Pis t’entends les notions de psychométrie sortir d’un peu partout sauf de la bouche de ton passionné professionnel au devant de ton actuel tas écrasé qui te fait office de corps.

Et puis tu commences à devenir un peu capable de sentir un tant soit peu de quelque chose dans le bout de tes doigts, qui veulent comme se garocher dans la glissée d’octobre.

Tu te dis que c’est pas grave, c’est pas grave. C’est fini. Chuuuut. C’est correct.

Et tu essaies d’oublier. Sans trop vouloir faire une présentation orale de toi-même devant tes potes qui grincent eux-mêmes en s’accotant trop fort sur leur dossier de chaise, pendant que toi, tu te cherches le dos. Tu veux être certaine que tu retombes pas dessus comme la fois où t’as reçu l’appel de ta soeur qui braille jamais. Avec sa voix de bébé-soeur toute p’tite, qui s’excuse au lieu d’être capable de te dire des mots avec des formes, des mots qui coulent pas en même temps que ses pleurs, des mots qui se sont ramassés à côté de la montagne de kleenex qu’elle avait retrouvé, des mots laissés sur la feuille de papier imbibée de larmes. T’essaie de t’accoter le dos sans grincer pour t’éviter de fondre des jambes comme quand tu percevais à peine bébé-sœur te dire qu’elle était pu là, qu’elle était pas partie marcher avec Léa, qu’elle avait laissé son cell fermé. T’essaie de te dire que la psychométrie est foutrement plus intéressante que les maux-kleenex qui te parcourent les frissons de bras pis de dos pas accoté.

Tu focusses sur l’Alpha de Cronbach parce que tu te dis que le dude qui a inventé ce coefficient de corrélation là a sûrement pas vécu le même 2 octobre qui t’as rentré dans le corps, tu te dis qu’il va te donner la meilleure des opportunités à dévier des pensées.

Et tu respires. Tu te dis que les mots tombés des larmes que ses kleenex ont séché ne se sont pas transformés en tragédie totale. Qu’elle est revenue des démons. Qu’elle est revenue à la maison.

Et tu voudrais juste que le cours se termine, te téléporter à deux heures et demi d’ici, pis de lui dire merci d’avoir tenu bon.

Parce que l’hiver commence à tranquillement rentrer par les veines, et parce que des fois tu sais pas comment aligner tes mots pour ta peine :

1–866–APPELLE (277-3553)

Par Angie Landry
Collaboratrice spontanée

Tu veux que ton texte soit publié sur lesnerds.ca? Voici comment:
Soumettre un texte spontané