OPINION: L’homme moderne est une feluette

L’homme moderne est une feluette.

N’ayons pas peur des mots : feluette, moumoune. L’homme moderne est mou.

L’homme moderne est raffiné. Il est allé à l’université. Il choisit soigneusement son linge, fait soigneusement son épicerie, fait soigneusement son ménage.

Il arbore fièrement la barbe. Il peigne soigneusement sa barbe, muscle soigneusement son corps au gymnase; il veut avoir l’air viril.

Soigneusement viril. Soigneux comme une feluette.

L’homme moderne est allé à l’université et ça lui sert de prétexte pour ne pas se mettre les mains dans le sable; il préfère s’y mettre la tête. Il préfère travailler assis et prendre des photos de sa tasse de café arabica, de thé Earl Grey, ou de n’importe quoi.

D’ailleurs, l’homme moderne passe beaucoup trop de temps à apprendre le nom des sortes de cafés, de bières, de vins. Il aime bien en boire, alors il le raconte aux autres, et parce qu’il est allé à l’université, il aime montrer qu’il a du savoir en quantité industrielle, et donc qu’il boit des bières de microbrasseries indépendantes; il n’aime pas les productions industrielles.

L’homme moderne a la tête dans le sable, mais surtout dans les livres. Il se terre dans ses bouquins pour s’imaginer que le monde n’existe que dans le secteur tertiaire. Urbain à l’os, sa nourriture vient de l’épicerie.

L’homme moderne est une feluette parce qu’il va faire l’épicerie pour sa dulcinée avec des sacs réutilisables. Il choisit des aliments équitables, des produits locaux, il mange végétalien pour être moins pollueur. Il consomme autant qu’il le peut, en pensant qu’il ne laisse pas de trace.

Lorsque vient le temps de travailler, il se retrouve coincé dans ses capacités. Il peut surligner les passages importants, rédiger des rapports étoffés, construire des algorithmes, n’importe quoi. Mais déplacer des pierres? Pelleter du gravier? Non. L’homme moderne est bien mieux que ça.

Cet homme se surpasse. En train de se dénaturer complètement. Parce que l’homme n’est pas conçu pour être assis toute la journée. Il n’est pas conçu pour que ses doigts piochent sur des touches de clavier pendant des heures.

L’homme, bien malheureusement, est conçu pour se battre, pour se dominer. L’homme est une bête qui veut se reproduire. L’homme est une créature dangereusement égoïste qui fait tout pour lui-même au final. Ça implique parfois de marcher sur la tête des autres.

L’homme moderne et moi sommes complètement l’inverse de ce pour quoi on est ici.

J’habite en banlieue. Il me manque une couche de vernis urbain pour être résolument moderne. Malgré tout, le vendredi soir, plutôt que d’être au bar à rechercher de potentielles génitrices intoxiquées, j’attends patiemment ma dulcinée en écrivant un texte inspiré des saisons qui passent. Je mets mes émotions en ligne. Une vraie feluette.

Suis-je un homme moderne? Suis-je une feluette?

Ou suis-je un homme prémoderne, qui boit une bière achetée au rabais à l’épicerie? Une blonde. J’aime les blondes et les rousses. Ce n’est pas plus moderne qu’il faut, classer ses bières comme ses blondes, leur donner un sexe en guise de statut de bien de consommation.

J’écris des textes de feluette, mais je le fais en écoutant le hockey et en me disant que je serais plus viril dans un pick-up comme j’en vois dans les annonces, à transporter des gros cailloux dans la benne, que dis-je, dans ma benne. Après tout, « le RAM 1500 est le camion le plus écoénergétique jamais construit! ». C’est bon pour l’environnement un pick-up comme ça!

L’homme prémoderne connait son hockey. Je connais mon hockey. Il aime la violence dans le sport parce que c’est le moment où il se reconnait dans ses joueurs ; les vrais hommes se battent et ne laissent pas leur place.

Bon, j’aime le hockey. Beaucoup. J’ai un pool et je peux vous entretenir pendant une heure au moins sur les joueurs qui devraient être échangés et vous expliquer pourquoi Carey Price est le meilleur joueur au monde.

Mais je ne suis pas un fan de la violence au hockey. Et j’appelle mes bières par leur nom, pas par leur sexe, parce qu’une bière n’arrive pas à la cheville d’une femme.

Homme moderne, prémoderne? J’aime peut-être mieux être une feluette qu’une guenille irrespectueuse de la femme.

Je pense que je peux être un homme même si je ne vais pas me mettre les mains dans la bouette, pelleter du sable, lever des grosses pierres et conduire un pick-up…dans le trafic. De toute façon, je fais l’épicerie bien plus souvent que je rénove une salle de bain. Qu’est-ce que j’en ferais de mon pick-up? J’aurais besoin de faire des sapristis de grosses épiceries pour avoir besoin d’un pick-up.

Et au final, que voulez-vous? J’ai fait mes cours universitaires et quand vient le temps de travailler, j’aime bien mieux aller aligner des mots sur des feuilles de papier.

Moderne? Prémoderne?

Ce n’est pas bien important. J’avais surtout besoin de me convaincre de ce que je suis : un homme assez fier pour se tenir debout, à côté des autres, pas sur les autres.
Par Sébastien Verret
Collaborateur spontané

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