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Mon gros adjectif

Par Ève Landry – le dans Chroniques

D’après ce qu’on m’a dit pis à voir ce qu’on montre dans les films, la plupart des gens ont des petits démons. Des bobos qu’y se referment avec de l’écoute, du temps pis une bouteille de rouge. Un amoureux qui me met à la porte de son cœur en plein hiver, une surcharge de travaux en fin de session, une épicerie qui tient plus ma marque de barres tendres prefs. Des petits démons, j’en ai eu. J’ai aussi eu beaucoup plus gros que ça.

J’ai vingt ans. C’est pas vieux. C’est pas plein de stress ou de problèmes : c’est juste vingt ans. De jour en jour, je sors, je vois du monde, j’étudie à temps plein pis je déborde d’énergie. Je parle fort en maudit, même quand il ne faudrait pas (les bibliothécaires m’aiment moyen, mettons). Je prends des selfies pour Instagram, je rédige des statuts drôles pour Facebook et, par-dessus tout, ma job est cool.

Ça va très bien.

Ou presque.

Il y a quatre ans, dans un petit bureau sur la rue Ontario, pendant que le soleil plombait sur une journée de printemps, une psy, remplie des bonnes intentions, m’a regardée dans les yeux pour m’annoncer que, pour le restant de ma vie, je ne serais pas toute seule. Dans le mauvais sens du terme. Loin du «le gars que tu fixes dans tes cours de math trippe sur toi aussi» ou du «je viens de trouver une nouvelle coloc pis elle est fine pis elle cuisine bien pis…».

À seize ans, alors que je venais de me remettre d’une grosse peine d’amour du genre qui t’écrase le cœur contre la cage thoracique (une histoire de garçon dans mon cours de math), pour la première fois, on m’a expliqué pourquoi, mes démons, je suis pas capable de les définir.

J’ai un état dépressif majeur.

Là, fais-toi pas avoir par l’adjectif. Ça sonne gros. Je sais. Quand la femme aux cheveux blonds attachés en chignon serré sur le dessus de sa tête a prononcé ces mots-là, ça a fait un sprint dans ma tête pour venir se loger dans mon cœur. Ce jour-là, je suis devenue une statistique.

Avec un gros adjectif.

Au quotidien, ça paraît pas. Je fais de l’impro, mon groupe d’amis est tellement volumineux qu’ils rentrent pas tous dans mon salon en même temps, même que j’arrive à garder ma job et à payer mon loyer à temps tous les mois, parfois d’avance. Je souris vraiment souvent, je fais des blagues pis, des fois, ‘sont drôles. Quand je passe la porte de chez nous, on pourrait croire que mon gros adjectif reste couché à la maison à m’attendre.

Pis c’t’un peu vrai.

Il vient pas à mes dates pour me laisser la chance de rencontrer quelqu’un avec qui me partager. Y’est smatte pis y’a pas besoin de prendre toute la place. Sauf que, des fois, à force de rester à la maison, y s’ennuie. Le goût de dormir collé y pogne. Ça fait que, lui aussi, se lève, y se met du linge pis y couvre ses cils de mascara. Y prend l’autobus bien sagement pour venir s’asseoir à côté de moi, dans un café rue Mont-Royal.

Y s’assoit. Y dit rien.

Pis de même, au milieu de mon rire, pendant que mon cercle d’amis trop gros pour entrer dans mon salon me regarde, mon gros adjectif, y me serre ben fort dans ses petits bras. Le rire me coupe. Les couleurs deviennent ternes pis ma belle journée se finit, vite de même. Fait que, je range mes affaires dans mon sac en replaçant ma queue de cheval.

Deux heures de l’après-midi : je suis fatiguée.

On se prend la main pour dire bye à tout ce monde qui comprend plus ou moins ce qui se passe. «Une mauvaise semaine, sûrement». On paye la facture pour le grand café au lait que je finirai jamais. L’autre bord de la porte, sur le trottoir, à attendre l’autobus, l’air se fait rare. C’est con, y en a plein autour, de l’oxygène, mais mon corps veut rien savoir. Parce que mon adjectif prend toute la place.

Je rentre chez nous. J’arrête toute. Surtout les lumières qui me donnent mal à tête. Seulement deux heures de l’après-midi, mais je me couche. Je suis épuisée d’être incapable de dormir. Mes yeux fixent le plafond au-dessus de mon oreiller. J’ai un motton dans la gorge, arrivé de nul part. Je peux pas pleurer pour le faire sortir.

J’suis pas triste.

Je suis juste vide.

Quand y décide de s’asseoir devant une fenêtre, y cache pas mal toute la lumière. Y’est imposant pis y prend pas souvent de vacances. Mon gros adjectif, c’est un trou noir jamais assez plein. On me répète de faire attention à moi, de passer une belle journée. Je réponds oui. Merci. Ce que je dis pas, c’est que de passer une journée, juste une journée, pour moi, c’est bien en masse. Je continue d’essayer. Je me relève, je me prépare le meilleur pad thaï maison. Je mange deux bouchées, j’ai plus faim. Je me lave pour retrouver les couleurs que mon visage a perdues. Je range le bordel qui couvre mon plancher; essayer de nettoyer ce que je peux.

Pour le cacher dans un tiroir, au milieu de mes chandails.

Ce que je veux te dire, c’est qu’après quatre longues années, j’arrête de jouer à cache-cache. Je laisse aller la honte d’avoir un gros adjectif. Même si y me définit beaucoup, je suis pas juste lui. Après tout, c’est juste un adjectif. En laissant aller ma honte, j’ai aussi commencé à en prendre soin. Vu qu’on est ensemble pour la vie.

On se parle souvent, pour essayer de régler ses bobos. La fille de vingt ans en a pas vraiment, des blessures; mon adjectif en a plein, mais y sait pas lesquels. On les cherche. On essaie de les soigner, de mettre des pansements dessus. En plus de ma routine ordinaire, je suis une infirmière pour lui. Fait que, ça fatigue. Pis, des fois, faut que je me couche. Au milieu de l’après-midi.

Parce qu’avoir un gros adjectif, c’est un travail à temps plein. Un travail d’amour. De petits soins. Un travail pour apprendre à en parler aussi, parce qu’à force de mettre des mots dessus, à force de parler de lui avec lui et avec les autres, y finit par se lever pour laisser la lumière entrer dans mon salon.

C’est un travail à temps plein, 24/7.

Pis c’est important, d’être capable de demander à des gens de couvrir mon shift quand je viens fatiguée. Même si c’est pas facile.

Tout ce que je peux vous dire, c’est merci. D’être là, pour prendre un quart de travail, une fois de temps en temps. Vous pouvez vous inquiéter, mais pas trop. Je vais être correcte, parce que mon plus gros problème, c’est juste un gros adjectif.

Pis je suis rendue pas pire dans les tournures de phrases.

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