L’hypocrisie du poids santé

Je suis plus lourde que mon poids santé. Dépendant de votre perception de la minceur et de la santé, certains d’entre vous diraient peut-être « Ah ouais, c’est évident » alors que d’autres se demanderaient bien où est le problème. En fait, j’ai seulement cinq livres en trop, alors ce n’est pas le premier truc qui saute aux yeux en me voyant.

Mais quand même ! D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu entre cinq et dix livres en haut de mon poids santé. Je me souviens encore d’un professeur d’éduc qui, alors qu’on calculait tout ça, avait voulu me rassurer en me disant qu’il n’y avait pas de quoi me lancer dans les régimes ou me priver de manger. J’avais pensé à la pression que ça devait être pour lui, de calculer le poids santé d’un paquet de jeunes au cégep, et de penser le soir au nombre de filles qui allaient commencer à se priver à cause d’un exercice qui faisait malheureusement partie du programme.

Clairement, il avait eu peur que je devienne anorexique en m’apprenant que j’étais cinq livres en haut de mon poids santé.

Ça n’a pas été le cas, mais je me questionne quand même sur cette notion-là. Je veux dire, est-ce que c’est réaliste de dire qu’il existe un poids santé clair et défini pour toutes les personnes du même sexe qui sont de la même taille ? Parce que personnellement, si je suis le Guide alimentaire canadien et que je mange tout ce que je devrais manger, je n’atteindrai jamais mon poids santé.

Qui mange vraiment cinq à douze portions de produits céréaliers, cinq à dix fruits et légumes, deux à quatre produits laitiers et deux à trois viandes et substituts, tout ça en une seule journée ? Peut-on vraiment manger autant sans dépasser son poids santé ?

C’est sans doute possible pour certaines personnes. Mais il y a aussi ces gens dont le métabolisme les gardera toujours un peu en haut du chiffre magique. Rien d’alarmant, mais un peu en haut de la limite, juste assez pour qu’ils se sentent toujours un peu tout croche par rapport à cette question-là.

Une fois dans ma vie, j’ai atteint mon poids santé. Je faisais une dépression et j’étais tellement à l’envers que je sautais des repas. Je sautais beaucoup de repas. J’avais mon poids santé, mais j’étais tout sauf en santé. J’allais très mal et on me disait que ça m’allait bien. Et le pire, c’est que même si j’étais tentée d’en vouloir aux gens à l’époque, en fait ce qu’ils me disaient était vrai, d’une certaine façon. Je devais bien avoir l’air plus en santé, puisque pour une fois dans ma vie, j’avais atteint mon poids santé.  

Alors voilà. J’ai un peu envie d’envoyer chier le poids santé. Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire attention à son alimentation et manger tout ce qu’on veut sans arrêt, loin de là. À un certain niveau, il est vrai qu’un surplus de poids peut entraîner des complications médicales, alors ce n’est pas un objectif à viser. Par contre, je ne crois pas que notre santé puisse vraiment se mesurer seulement en fonction de notre poids non plus. Être en santé, c’est une question beaucoup plus complexe, et si le poids peut parfois en être le reflet, il est loin d’être l’unique facteur.

Alors si un de vos proches perd beaucoup de poids d’un coup, pensez-y un peu. Même si la personne atteint finalement son poids santé, il n’y a pas de façon saine de perdre des kilos en un claquement de doigts. Perdre du poids sainement, c’est un long processus, parce que ça demande un changement de mode de vie et d’alimentation sur le long terme. Ce sont souvent les gens malades qui perdent du poids à une vitesse impressionnante – que le problème soit au niveau de la santé mentale ou physique, perdre du poids trop vite n’est jamais sain. Du coup, ça pourrait être une bonne idée de poser un peu plus de questions sur ce qui se passe dans la vie de cette personne qui maigri tant, avant de la complimenter d’enfin être «en santé».

Par Valérie JB
Collaboratrice spontanée

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